Mino Raiola
Il invente la commission pour non-transfert

Il est connu que les agents peuvent gagner beaucoup d’argent à l’occasion d’un transfert. Et ce n’est pas à Mino Raiola qu’on l’apprendra : il a touché 27 millions lorsque son protégé Paul Pogba a quitté la Juventus pour Manchester United.

Mais celui qui est aussi l’agent du Suédois Zlatan Ibrahimovic, du Français Blaise Matuidi, ou encore de l’Italien Mario Balotelli, est encore beaucoup plus ingénieux. Il introduit des clauses dans les contrats pour être rémunéré quand il n’y a pas de transfert. Il a en tout cas réussi à imposer cela au Borussia Dortmund : pile je gagne, face tu perds. Imparable.

Ce n’est donc pas un hasard si le footballeur arménien Henrikh Mkhitaryan a quitté le club allemand l’été dernier : Mino Raiola a rendu ses dirigeants fous. Le joueur, à qui il restait une année de contrat, voulait rejoindre Manchester United, en Grande-Bretagne. Hors de question, explique alors publiquement le directeur général de Dortmund Hans-Joachim Watzke.

raiola

Mais en matière de transferts, le mot « jamais » n’existe jamais. Tout est affaire de montants. Et de négociations. En la matière, Mino Raiola en connaît un rayon. Il s’est déjà assis à la table de Silvio Berlusconi, l'ancien propriétaire du Milan AC, de Florentino Pérez, le président du Real Madrid, ou encore de Nasser Al-Khelaïfi, l'investisseur qatari derrière le Paris Saint-Germain. Ce n’est pas Hans-Joachim Watzke qui allait lui faire peur.

Surtout que l’EIC a découvert la clause qui lui avait assuré la victoire. Le document, daté du 1er mars 2014, est un amendement au contrat d'agent de Raiola. Trois pages qui ont joué un rôle décisif dans les dernières étapes des négociations.

Elles stipulent que Raiola touchera 20 % du montant de transfert de Mkhitaryan. Plus original, elles précisent que, si un club fait une offre ferme qui intéresse le joueur, mais que Dortmund s’oppose à son départ, Raiola touchera 10 % du montant proposé par ce club. En clair, si Dortmund avait refusé l’offre de 40 millions de Manchester, Dortmund aurait dû verser 4 millions à Raiola.

Watzke a finalement accepté un transfert de Mkhitaryan pour 42 millions d'euros.

Bayram Tutumlu
Mon copain manager m’achète mes joueurs

L'idéal, pour un agent, c'est d'être le plus proche possible d'un club, celui par qui tous les transferts passent. Un peu la situation de Bayram Tutumlu au FC Swansea quand le club de Premier League anglaise avait pour manager le légendaire Michael Laudrup, élu meilleur joueur de l’histoire du football danois. On a même suspecté en 2013 que Tutumlu contrôlait la politique de transfert de Swansea. Il a en tout cas abusé d’un énorme conflit d’intérêts. Il se trouve que Tutumlu était l’agent de l’entraîneur Laudrup. En parallèle, il a reçu en sous-main des millions de commissions occultes que lui reversaient d’autres agents lorsqu’ils transféraient des joueurs à Swansea.

Le club n’était pas au courant des accords secrets entre Tutumlu et les autres agents. Ce qui est formellement interdit par la FIFA, dont les règles de transparence stipulent que la participation d'agents à toute négociation soit connue. Pas de quoi effrayer Bayram Tutumlu, personnage haut en couleur : cet Espagnol né en Turquie a d’abord vendu des voitures de luxe aux joueurs de Barcelone, avant de devenir agent en se proclamant ami des plus grands, de Diego Maradona à José Mourinho en passant par Pep Guardiola.

tutumlu

Les documents Football Leaks ont permis d’étayer la magouille. Tutumlu détenait des intérêts financiers dans au moins sept transferts effectués par le club gallois. En 2013, par exemple, Tutumlu avait négocié avec l’agent du joueur espagnol José Cañas une clause lui assurant 1,466 million d'euros en cas de transfert. Pour son plus grand bonheur, Cañas a été acheté par Swansea.

Dans d'autres cas, Tutumlu a réussi à récupérer les deux tiers de la commission d'agent. Il avait notamment signé un « accord de collaboration » avec l'agent du défenseur Ben Davies, le 4 septembre 2013, lui assurant 67 % des commissions de cet agent. Peu de temps après, Davies prolongeait son contrat au club – avec une commission à la clé.

Selon les calculs basés sur les Football Leaks effectués par le journal danois Politiken, membre de l'EIC, ces deals secrets ont permis à Bayram Tutumlu de toucher 4,3 millions d'euros de Swansea pendant les dix-neuf mois du mandat de Laudrup. Cette somme représente quatre fois ce que le club lui payait comme agent du manager. Car il touchait aussi de l'argent de ce côté-là : 10 % du salaire du Danois, officiellement cette fois.

Michael Laudrup a-t-il acheté en priorité les joueurs contrôlés en sous-main par son agent ? Interrogé par l’EIC, Tutumlu dément : « Je n'ai jamais partagé avec lui les bénéfices résultant de mon activité professionnelle. De plus, je n'ai jamais été impliqué avec lui dans la représentation d'un joueur ou d'un club. » Bref, « je n'ai jamais donné d'argent ou d'autres avantages à Michael Laudrup ». L’intéressé, désormais entraîneur de Al Rayyan (Qatar), est tout aussi catégorique : « Je veux indiquer clairement que je n'ai JAMAIS reçu un seul centime en relation avec le transfert d'un joueur. »

Un porte-parole de Swansea a assuré à l’EIC que tous les transferts intervenus sous l'ère Laudrup « ont été discutés en toute transparence et réalisés de façon normale ». Cela n'a pas empêché le club de Premier League de virer l'ancienne star danoise en février 2014 en exprimant ses soupçons : « Le club suspecte que si BT [Bayram Tutumlu] n'était pas impliqué dans le transfert d'un joueur, ML [Michael Laudrup] ne voulait pas qu'il rejoigne le club », écrivait un responsable du FC Swansea dans une lettre à la League Managers Association, le syndicat de Laudrup. Swansea enquêtait à l’époque pour déterminer si certains transferts avaient été réalisés « aux dépens du club », et affirmait que, dans plusieurs cas, Tutumlu « essayait de profiter matériellement des transactions ».

Mais Swansea a finalement laissé tomber, faute de preuves. Malgré les millions évaporés, le club a signé un arrangement en mai 2014 avec Laudrup, qui a touché une indemnité de départ de 1,55 million de livres net d'impôts, alors que son agent recevait 340 000 livres, le tout avec une clause de confidentialité qui les empêche d'en parler.

Swansea a donc fait preuve jusqu'au bout de générosité, comme le montre ce petit mot envoyé à Tutumlu par le président du club, Huw Jenkins, le 6 mars 2013. À l'époque, Laudrup venait de prolonger son contrat, et son agent, resté fidèle depuis qu'il lui avait permis, en tant que joueur, de passer en 1994 du FC Barcelone au Real Madrid, n'était pas oublié : si le Danois était transféré pour 10 millions de livres, son agent toucherait 30 % de la somme (20 % si le transfert se situait entre 5 et 10 millions de livres). Tutumlu recevait aussi 7,5 % du bénéfice réalisé sur tout transfert des joueurs de Swansea, qu'il y soit impliqué ou pas – ce qui démontre bien qu'il contrôlait de fait la politique du club. Et bien sûr, les 10 % sur les salaires brut de Laudrup et de ses trois adjoints.

Petite morale de cette histoire : un agent, ça doit savoir négocier pour ses joueurs, mais surtout pour lui-même. Même si, il y a dix ans, Tutumlu proclamait le contraire dans un journal danois, Jyllands-Posten : « Je ne fais pas ça pour l'argent. J'ai déjà plus d'argent que je ne pourrais dépenser. Je le fais pour aider les gens que j'aime. » C'est ainsi que, par amour, il a permis à son ami Laudrup de signer peu après son départ de Swansea avec le club qatari de Lehwiya. Et devinez le premier geste du Danois ? Acheter un joueur de Swansea, Chico Flores, sur lequel Tutumlu s'était fait une commission secrète lors de son recrutement par le club gallois.

Pini Zahavi
De l'Ukraine à la Chine, en passant par l'Israélien

Pini Zahavi, c'est le Presley du métier d'agent : il a inventé le job, comme Elvis le rock. L'agent israélien a permis à Roman Abramovich de s'acheter Chelsea, a été l'homme de nombreux transferts en Grande-Bretagne. Avec ses sociétés au Luxembourg, à Malte, aux îles Vierges britanniques ou à Gibraltar, Zahavi a compris que l'interdiction de la TPO (tierce propriété) par la FIFA en mai 2015 n'était pas absolue : si un individu ne peut plus posséder un morceau de joueur, cela reste possible pour un club. Il suffit donc d'en contrôler un. Ça tombe bien, deux sont réputés sous son aile, même s'il n'y apparaît pas directement, car la FIFA pourrait ne pas apprécier le conflit d'intérêts.

Il y a donc Mouscron, en Belgique, acheté en juin 2015 à 90 % par une société de Zahavi, Gol Football Malta, qui promet d'y consacrer 8,5 millions d'euros (2,5 pour le rachat, puis 2 millions investis par an sur trois ans). Mais, selon le site MaltaToday, Gol l'a revendu en février 2016 pour 10 euros à une autre société maltaise appartenant à un neveu de Zahavi prénommé Adar. Deuxième équipe, l'Apollon Limassol, à Chypre : Zahavi serait actionnaire minoritaire de ce drôle de club qui s'amuse à acheter des joueurs puis à les prêter sans qu'ils mettent le pied sur l'île. Ainsi le Roumain Cristian Manea, acheté en secret par l'Apollon puis prêté à Mouscron prétendument par Chelsea, qui n'en avait jamais fait l'acquisition.

Même s'il est, à 73 ans, plus proche de la maison de retraite que du jardin d’enfants, Zahavi s'avère toujours redoutable. Début 2016, il chipe aux majors du foot anglais le joueur brésilien Alex Teixeira, pour le transférer en Chine. Les mails révélés par Football Leaks racontent l'histoire. Le 28 janvier 2016, premier mail : « Salut Sergie (sic), j'espère que tu vas bien. Quand pouvons-nous parler d'un de tes joueurs ? » Sergei Palkin, directeur général du Shakhtar Donetsk : « Quel joueur ? » Au nom de Teixeira, Palkin fronce le sourcil : « Le marché des transferts est fermé. » Zahavi : « Pas partout dans le monde. » Palkin : « Tu sais que Liverpool nous a offert 32 millions et qu'on a refusé de vendre ? » Zahavi : « Oui je sais et j'aimerais bien qu'on se rencontre. »

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Quand l'agent arrive à Kiev le 2 février, le Shakhtar lui organise un accueil VIP, mais Palkin a dit à la télévision qu'il ne vendra Teixeira qu’« en fin de saison ». Il rappelle sa clause de départ (70 millions d'euros). « Si quelqu'un le veut, qu'il le dise. » Oui : Zahavi, avec l'aide d'une vieille connaissance, l'agent d'origine iranienne Kia Joorabchian, qui a introduit la TPO en Grande-Bretagne en 2006. Dans le deal, « Kia » agira pour Teixeira, et Zahavi pour le club chinois de Jiangsu Suning, représenté par l'avocat Zhengzheng Hu, surnommé Brooky.

Pour Zahavi, le bon prix est 45 millions, mais Palkin veut 60 et prétend que Manchester City les lâchera à l'été. « En principe, on peut faire affaire, analyse Zahavi. Avec le joueur, c'est fait. » Reste à convaincre le Shakhtar. L'agent a commencé au prix de Liverpool (36) pour monter « lentement » à 45. « D'abord, ils ne voulaient pas de la Chine. » Puis ils lui ont annoncé 60. Il s'est levé. « J'ai dit merci, je pars à l'aéroport, mais Palkin m'a demandé de rester pour la nuit. »

Combien Jiangsu est-il prêt à payer ? C'est la clé. « Le marché d'hiver est compliqué, commente Zahavi. Regardez les prix qu'ont payé des clubs anglais pour des joueurs de merde. » Sa suggestion : « S'en tenir à 50 ou en dessous, mais être relax et ne pas s'en prendre à moi si ça ne marche pas. […] Mon pouvoir est limité. »

Brooky explique qu'il y a une rivalité entre clubs chinois : « Guangzhou a signé avec Jackson Martinez pour 42-45 M. Alors on doit avoir Teixeira. » Mais pas pour plus de 50 M€. Brooky n'a « pas dormi depuis 48 heures » et voilà que, selon « Kia », le joueur veut « 11 M par an et une prime à la signature de 9 M ». Brooky supplie Zahavi : « Pouvez-vous nous aider à parler avec lui ? On peut ajouter un peu d'argent au salaire, qu'importe celui qui le touchera, mais SVP pas trop. » Zahavi se dit « surpris » du salaire, dit qu'il n'a « rien à voir avec le joueur, c'est Kia le responsable », mais promet de « vérifier ».

Finalement, Jiangsu propose 50 M€, Donetsk réfléchit. Zahavi : « Je suis assis comme un idiot dans ma chambre et j'attends. » Brooky : « Nous aussi on attend comme des idiots. » Zahavi : « Le proprio est un drôle de bonhomme !!! » En 2006, dans un câble diplomatique qui a fuité, l'ambassadeur américain avait décrit l'oligarque Rinat Ahmetov comme un parrain du crime organisé à Donetsk. Fortune estimée : 11 milliards de dollars.

Zahavi pense néanmoins que ça va marcher, « si le garçon [le joueur – ndlr] ne nous baise pas ». « J'espère qu'il ne rêve pas de la Premier League à l'été prochain. » Jouer en Chine, c'est moins excitant mais tout le monde tope : pour 50 M€, le Brésilien âgé de 26 ans part en Chine. Le plus gros transfert du pays, « la troisième fois que le record est battu en dix jours », notera le Guardian. Jiangsu a lâché plus que Guangzhou pour Jackson Martinez, grâce à Zahavi. Mais la commission des deux agents reste un mystère.

Volker Struth
5 millions pour une prolongation

À la table des agents, Volker Struth a son rond de serviette bien en évidence. En 2015, le magazine Forbes le classait dans le top 5 mondial, tous sports confondus. Cette année, l'Allemand a un peu reculé, à la 14e place. Mais avec 80 clients, 287 millions de dollars de contrats, et 28 millions de dollars de commissions, il reste à un niveau plus que respectable.

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C'est que Struth a dans son portefeuille un paquet de stars allemandes : Toni Kroos, Marco Reus, Benedikt Höwedes… L'homme de Cologne est un garçon solide. Ancien semi-pro, il a vendu du matériel de bureau avant de trouver son premier filon : la commercialisation de drapeaux allemands pour le Mondial 2006 qui s'est déroulé dans son pays. Les documents Football Leaks montrent qu’il vient d'en trouver un encore meilleur : le 20 octobre dernier, Volker Struth a touché la première tranche d’une commission de 5 millions d’euros versée par le Real Madrid.

Là où l’histoire devient étonnante, c’est que cet énorme chèque a été consenti pour une simple prolongation de contrat : celui du milieu de terrain Toni Kroos, que Struth a convaincu de signer jusqu'en 2022, plutôt que d'écouter les sirènes d'autres clubs qui le désiraient. Dans le même temps, Madrid a gentiment augmenté Kroos, de 10,9 millions à 14,5 millions d'euros par an.

Il faut dire que l’agent a orchestré l’affaire de main de maître. L’hiver dernier, le joueur allemand n'allait pas fort, car l’entraîneur du Real, Rafa Benitez, le laissait sur le banc. Struth a tâté le terrain du côté de la Premier League, et une opportune rumeur a fuité dans la presse selon laquelle Chelsea ou Manchester United pourraient offrir 60 millions d'euros pour son joueur… Puis début janvier 2016, Zinedine Zidane a remplacé Benitez, Kroos a retrouvé un poste de titulaire, et le salaire qui va avec.

Cela justifiait-il vraiment cinq millions d’euros pour son agent ? Contacté par l’EIC, un porte-parole de SportsTotal, l'agence de Struth, a indiqué que nos informations « sont seulement partiellement correctes » et que Kroos « ne souhaite pas faire de commentaires ».

Marco Termes
Le poète qui jouait l’homme de paille

Marco Termes, 59 ans, a été l’agent de grands joueurs sud-américains. Il a même possédé 30 % de James Rodriguez, la star colombienne du Real Madrid. Du moins, officiellement. En réalité, le Néerlandais Marco Termes est poète et écrivain. Il n’a jamais rencontré de footballeur professionnel de sa vie. Il a simplement œuvré comme homme de paille pour l’« Argentinian connection » du football, une coopérative de cinq agents qui représentent notamment les stars du PSG Angel Di Maria et Javier Pastore, et qui blanchissent l’argent des transferts dans des paradis fiscaux, par l’intermédiaire de sociétés-écrans aux Pays-Bas.

Termes est un sacré personnage. Il a écrit son premier poème à 13 ans, son premier roman à 17 ans. Mais il décide alors de poser la plume et d’« expérimenter des choses » pour nourrir son écriture. Marco Termes est beau gosse. Durant plus de quinze ans, il a été mannequin, danseur dans des émissions de télévision, chanteur dans un boys band, acteur dans des spots de publicité. Il a aussi vécu à Saint-Pétersbourg avec son ex-femme, une beauté russe rencontrée à Chypre.

En 2006, Termes, revenu aux Pays-Bas, décide de se consacrer à plein temps à sa passion pour la littérature. Son rendement est incroyable, avec huit romans, trois recueils de poèmes et des centaines d’aphorismes écrits en quelques années. Mais ses ouvrages se vendent mal.

À la fin 2008, un ami lui propose de travailler pour Duma, trust company d’Amsterdam, dont la spécialité est de fournir clés en main des sociétés-écrans à toutes sortes d’hommes d’affaires qui veulent se cacher. Le job est simple : il sera le directeur de sociétés immatriculées à son adresse, un logement social de Zandvoort, petite ville côtière à l’ouest d’Amsterdam. Concrètement, son travail consiste à ouvrir le courrier, aller à des réunions chez Duma, et voyager pour faire signer des documents. Ce qui lui prend une dizaine d’heures par semaine.

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Ce grand supporteur de l’Ajax d’Amsterdam ignore que deux des coquilles vides qu’il administre servent à blanchir l’argent d’agents argentins. Mais il se rend compte que leur activité est liée au football. Un jour, trois jeunes joueurs argentins, alors âgés de 15, 16 et 18 ans, autorisent la société de Termes à conclure leur transfert dans n’importe quel club dans le monde.

Quelque temps plus tard, la trust company lui remet un jeu de contrats de footballeurs, qu’il doit aller faire signer aux dirigeants de la Lazio de Rome. Une fois arrivé, il découvre que le siège du club est situé dans un immeuble décrit dans son premier roman, celui qu’il a rédigé à 17 ans. « Dans le hall, à côté du bureau du président de la Lazio, il y avait une statue du dieu Ajax, raconte-t-il. Comme l’Ajax est mon club, j’ai demandé à la secrétaire si elle pouvait me prendre en photo. »

Un autre de ses voyages en Italie l’a particulièrement marqué. La trust company Duma l’avait envoyé dans la banlieue de Rome, sur un petit aéroport désert, au sujet d’un deal lié au football. « Officiellement, le terrain était fermé et aucun avion n’était autorisé à atterrir. J’ai attendu là pendant huit heures. Finalement, à 23 h 30, un avion a atterri et les hommes qui devaient signer les contrats sont descendus. » Ils ont redécollé aussitôt.

Durant ces quatre années, il assure avoir lu attentivement tous les documents qu’il recevait, pour ne pas commettre d’irrégularités. « D’après ce que j’ai pu voir, tout était correct, mais j’ai seulement vu une petite partie du puzzle. C’était comme se trouver dans une pièce séparée par un rideau très lourd. Les plans étaient faits d’un côté du rideau, et moi j’étais de l’autre. Parfois, des papiers étaient transmis de l’autre côté du rideau et je devais m’en occuper. »

Mais en 2013, le circuit financier a été redirigé, Marco Termes a été congédié par le fournisseur de sociétés-écrans. Fini le petit boulot parfait. Il ne regrette pas son expérience d’homme de paille, et se dit même reconnaissant envers son ex-employeur : « Cela m’a permis de consacrer quatre ans de ma vie à mon métier d’écrivain, j’ai vécu des choses qui nourriront mon écriture. J’étais un poisson rouge dans un bocal de piranhas. »

Alexandre Pinto da Costa
Les fausses factures du fils du président

La vie d’agent de joueurs est parfois très simple. Prenez le cas du Portugais Alexandre Pinto da Costa. Alexandre est le fils de Jorge Pinto da Costa, l’inamovible président du FC Porto depuis trente-quatre ans. Tout naturellement, l’agent Alexandre fait des affaires avec le club de son papa. Et tant pis si les mauvais coucheurs crient au conflit d’intérêts. Alexandre assure n’avoir aucune influence sur le club, et revendique crânement son statut. « Je suis très heureux et honoré d’être le fils du plus grand président de club que le monde ait jamais connu », a-t-il déclaré.

Sauf que les affaires de l’agent Alexandre avec Porto sont à la fois très rentables pour le fils du président et truffées d’irrégularités. Commissions cachées, conflits d’intérêts, fausses factures : les documents Football Leaks permettent de disséquer de façon inédite les dessous de ce business incestueux.

pinto

Il y a d’abord les chiffres. Entre 2012 et 2015, Porto a versé au moins 1,5 million d’euros de commissions au fils de son président, soit 60 % du chiffre d’affaires cumulé de sa société Energy Soccer. À titre d’exemple, Energy a touché 123 000 euros sur la vente du Ghanéen Christian Atsu au club de Chelsea en 2013.

Contrairement à ce qu’il clame, Alexandre Pinto da Costa n’assume pas vraiment cette proximité, au point de se cacher derrière des prête-noms. Il a créé Energy Soccer en juillet 2012. Deux mois plus tard, la société touche 25 000 euros sur le transfert du joueur Álvaro Pereira de Porto à l’Inter de Milan. Curieusement, le club a préféré payer la commission à une agence nommée IG, qui a redistribué une partie de l’argent à Energy Soccer.

Même scénario l’année suivante lorsque Porto s’offre l’international portugais Ricardo Quaresma. Le club verse 500 000 euros de commission à l’agence DNN, qui en a reversé la moitié à la société d’Alexandre Pinto da Costa. Contacté par l’EIC, le patron de DNN a refusé de nous expliquer pourquoi il a rémunéré le fils du président de Porto.

Alexandre Pinto da Costa a fait plus fort encore : lorsqu’il est en affaires avec Porto sur un transfert, il parvient à se faire payer par l’autre club impliqué. C’est totalement contre-nature, puisque l’acheteur et le vendeur ont des intérêts totalement opposés. Et c’est formellement interdit par la loi portugaise, qui stipule qu’un agent « ne peut agir qu’au nom d’une seule des parties à un contrat ».

Cela n’a pas dissuadé Alexandre. Lorsque Porto s’est offert le joueur Carlos Eduardo en juin 2013, il a touché 100 000 euros du club de son papa, et 68 400 euros du club vendeur, Estoril Praia. Rebelote deux mois plus tard avec le prêt de Rolando à l’Inter de Milan : Energy Soccer encaisse 60 000 euros de Porto le 16 août, et envoie le même jour une facture de 75 000 euros au club italien.

Mais tout cela n’est rien à côté de l’incroyable affaire Casemiro, ce milieu de terrain brésilien prêté par le Real Madrid à Porto pour la saison 2014/2015. Cette opération a permis à Alexandre de toucher deux commissions occultes du club de son papa pour un total de 980 000 euros, au travers de fausses factures et de contrats antidatés.

Le dossier est si sensible qu’il a fallu trouver un intermédiaire pour cacher le paiement : Nelio Lucas, le patron portugais du fonds d’investissement Doyen Sports.

Lucas était l’homme idéal, puisqu’il est à la fois un financier du FC Porto et un ami personnel d’Alexandre Pinto da Costa. Il s’est chargé d’encaisser l’argent du club sur le compte au Liechtenstein de Vela, l’une de ses sociétés-écrans immatriculée à Malte. Il a ensuite redistribué la majeure partie des fonds au fils du président, en prenant bien entendu sa commission au passage.

Tout commence en juillet 2014, lorsque le Real prête Casemiro à Porto pour un an, moyennant 1,2 million d’euros. Manifestement, Alexandre Pinto da Costa a joué un rôle dans ce deal. Mais ça doit rester secret. « Porto nous a demandé de changer la référence de la facture. (…) C’est celle de Casemiro n’est-ce pas ? », écrit un collaborateur de Nelio Lucas dans un mail confidentiel qui figure dans les Football Leaks. « Oui mais on ne peut pas le mentionner. Il faut oublier son nom dans les factures ! », répond le patron de Doyen.

Qu’à cela ne tienne, un contrat est établi par Vela à l’attention du FC Porto, au sujet de prétendus services de « scouting » (détection de jeunes talents). Le club paye 300 000 euros à la société offshore de Nelio Lucas, qui en redistribue 280 000 aux sociétés d’Alexandre Pinto da Costa. Le souci, c’est que le fils du président n’a aucun contrat avec Vela. Heureusement, un collaborateur de Nelio Lucas propose d’en fabriquer un pour justifier le paiement. « J’ai fait simple », écrit-il. En effet : le document indique que les sociétés d’Alexandre ont fourni des « services de consulting en business et en management », sans plus de précision.

Le deuxième épisode, encore plus fou, se joue un an plus tard. Il y avait, dans l’opération Casemiro, une clause pour le moins étrange. À l’issue du prêt, si Porto ne veut plus du joueur, le Real le récupère gratuitement. Porto a aussi une option d’achat pour 13,8 millions d’euros. Si Porto exerce cette option, le Real peut exercer une contre-option, moyennant un paiement de 7,5 millions à Porto. C’est totalement absurde : on voit mal pourquoi un club devrait payer pour un joueur qui lui appartient.

C’est pourtant ce qui est arrivé : Porto a dit vouloir acheter Casemiro, le Real a exercé sa contre-option et a versé 7,5 millions au club portugais. Ce qui est encore plus troublant, c’est que Porto a reversé dans la foulée 1,26 million d’euros à Nelio Lucas et Alexandre Pinto da Costa, sans qu’on comprenne ce qui a pu justifier un tel paiement.

Cette fois encore, pas question pour le club de verser directement l’argent au fils de son président. Porto verse 1,26 million d’euros sur le compte au Liechtenstein de Vela, la société offshore de Nelio Lucas. Dans un mail confidentiel, un de ses collaborateurs écrit que c’est une « commission liée à l’exercice de l’option du Real Madrid » sur Casemiro. Cette fois, il n’y a apparemment même pas de contrat pour habiller le paiement. Les collaborateurs du patron de Doyen ont réclamé plusieurs fois ce document sans l’obtenir, selon des emails internes issus des Football Leaks.

Nelio Lucas conserve 426 000 euros, et reverse 700 000 à Energy Soccer. Le contrat est pour le moins croquignolet. Sur les 700 000 euros, 500 000 sont justifiés par le fait qu’Alexandre Pinto da Costa aura droit à une commission « si le Real Madrid exerce sa contre-option de rachat ». Il était sûr de l’obtenir, puisque cette clause a été rédigée après l’exercice de l’option ! Quant aux 200 000 euros restants, c’est officiellement parce que Nelio Lucas paie le fils du président de Porto pour être l’agent de Casemiro à sa place. Une absurdité totale, les agents ne laissant le soin à personne d’autres qu’eux de veiller sur leurs protégés.

Interrogé par l’EIC, Nelio Lucas n’a pas souhaité nous parler. Il a fait répondre par le porte-parole de Doyen que l’opération avec Energy Soccer était « confidentielle », et que « les deux entreprises respectent l’ensemble des obligations, y compris fiscales, auxquelles elles sont soumises ». Le FC Porto et Alexandre Pinto da Costa n’ont pas donné suite à nos sollicitations.

Soren Lerby
Lui et sa femme, agents couple

Soren Lerby est un ancien joueur danois emblématique des années 1980. Personne ne l’a oublié à l’Ajax d’Amsterdam, au Bayern Munich et au PSV Eindhoven. Un joueur intraitable, irascible, qui meugle sur le terrain, et terrorise jusqu’à ses coéquipiers. Comme Wim Kieft, qui lui confie un jour avoir peur de tirer les pénaltys : il craint de pleurer en cas d’échec. Lerby rit, et rapporte la confidence à l’ensemble de l’équipe.

Soren Lerby importe ses méthodes très particulières quand il plonge dans le business, après une séquence d’entraîneur ratée, puis une expérience de vendeur de viande.

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Au sein de sa société Essel, il s’associe avec sa femme Arlette. Ils n’hésitent pas à recruter des enfants de 15 ans, ce qui est interdit par la loi. Et à négocier des pourcentages à la revente de ses joueurs, ce qui n’est pas plus permis.

Plus fort encore, ils passent outre aux règles les plus élémentaires qui visent à empêcher les conflits d’intérêts. Le 25 janvier 2013, le footballeur néerlandais Wesley Sneijder débarque à Galatasaray. Il vient de signer un lucratif contrat de trois ans et demi. Son agent ? Soren Lerby. L’agent du club turc ? Arlette van der Meulen, sa femme.

Le site internet de leur société Essel expose : « Nous représentons toujours le joueur ou le club. » À Istanbul, la société s’est cependant assise des deux côtés de la table des négociations, avec la permission de Galasataray. Le jackpot a ainsi été multiplié par deux.

Constantin Panagopoulos
Le banquier occulte

Quand on exerce le métier d’agent, l’une des plus belles tirelires est le Zénith Saint-Pétersbourg. Situé dans la ville natale de Vladimir Poutine, le club est couvé par le président russe et financé par le géant des hydrocarbures Gazprom. De quoi financer des commissions démesurées en regard du pedigree des joueurs qui rejoignent le club de première division russe, dont le niveau n’est pas très relevé.

L’agent brésilien Constantin Teodoro Panagopoulos en a bien profité. En août 2012, le Zénith achète au FC Porto l’un de ses poulains, Givanildo Vieira de Sousa, surnommé « Hulk », pour environ 50 millions d’euros. Le contrat d’agent, qui figure dans les Football Leaks, prévoit une gigantesque commission de 13 millions d’euros pour For Gool, la société britannique de Panagopoulos. L’agent a touché 26 % du montant du transfert, alors que la norme dans le milieu est plutôt de 10 %.

Les transactions étranges de Constantin Panagopoulos ne s’arrêtent pas là. Histoire de solidifier sa relation avec Porto, l’agent fait également office de banquier occulte du club, sous couvert d’achat de parts de joueurs.

C’est justement ce qui s’est passé pour Hulk, quelques mois avant son transfert en Russie. En mars 2012, For Gool fournit 4,5 millions à Porto, une partie sous forme de prêt et l’autre en échange de 10 % du joueur. Quatre mois plus tard, lorsque le Zénith achète Hulk pour 50 millions, Panagopoulos aurait donc dû toucher 10 %, soit 5 millions. Mais l’agent y renonce subitement, exigeant uniquement le remboursement du prêt ! Une générosité inexplicable, si ce n’est par le fait que l’agent a agi comme un pur financier, et n’a jamais eu l’intention d’acheter des parts du joueur.

Autre micmac avec l’international mexicain Héctor Miguel Herrera, arrivé à Porto en 2013. Le joueur s’avère très décevant. En février 2015, le club donne un mandat de vente de Herrera pour 30 millions d’euros – un montant absurde, qui n’a aucune chance d’être atteint. En échange, l’agence de Panagopoulos verse 5 millions à Porto, qui devra rembourser 5,25 millions en septembre. C’est exactement ce qu’il est advenu. En clair, il s’agissait d’un prêt avec intérêts dissimulés derrière un faux contrat d’agent.

Ces manœuvres occultes ont éveillé la suspicion de l’UEFA. En 2012, la Fédération européenne de football avait dénoncé For Gool aux autorités anglaises, au sujet du montage financier lié à l’arrivée du Brésilien Walter au FC Porto. Une enquête pour blanchiment a alors été ouverte au Royaume-Uni. On ignore ce qu’elle a donné. Mais For Gool poursuit toujours ses activités.

Nicky Blair
La manœuvre fiscale du fils de l’ex-premier ministre

C’est le premier gros deal d’un agent pas comme les autres. À l’été 2013, Nicholas Blair, dit « Nicky », parvient à vendre au FC Porto pour 8 millions d’euros le footballeur mexicain Hector Herrera, qui évoluait dans un club de Mexico. Une consécration pour le fils de l’ancien premier ministre britannique Tony Blair, alors âgé de 27 ans, qui a d’abord travaillé comme professeur des écoles puis comme avocat, avant d’embrasser la carrière d’agent de joueur.

Mais derrière ce succès, qui a rapporté 300 000 euros de commission à Nicky Blair, se cache une sombre manœuvre. Les documents Football Leaks montrent en effet que Blair a agi à la fois comme agent du joueur et comme agent du club, ce qui est formellement interdit par la loi portugaise, au nom de la lutte contre les conflits d’intérêts.

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L’objectif de la combine est avant tout fiscal. Si la commission est versée par le club au joueur, il doit payer des impôts sur cette somme avant de rémunérer son agent, et doit s’acquitter en plus de la TVA. C’est pour cette raison que les clubs s’arrangent pour verser la commission directement à l’agent. Ça coûte moins cher et tout le monde y gagne. Mais c’est illégal au Portugal… sauf si l’agent travaille exclusivement pour le club.

Des emails issus de Football Leaks montrent que Nicky Blair a été payé par Porto alors qu’il représentait le joueur Hector Herrera. En 2013, son club, le CF Pachuca, écrit que le joueur est « légalement représenté » par Magnitude, l’agence londonienne créée par Nicky Blair et Gabriel Moraes, l’un de ses amis rencontré à l’université d’Oxford.

En mai 2013, Moraes écrit à Antero Henrique, directeur du football au FC Porto, au sujet de l’acquisition du joueur : « Vous trouverez ci-joint le contrat de représentation de Hector Herrera. Il est signé par mon associé Nicholas Blair. »

Les négociations progressent rapidement. Le 20 juin, Nicky Blair envoie à Porto son contrat, qui stipule qu’il « représente le joueur ». Le lendemain, l’avocat de Porto renvoie une version amendée du contrat qui dit que Blair représente le club. L’agent lui renvoie une troisième version, où il écrit à nouveau qu’il représente le joueur !

Mais dans le contrat final, il est bien stipulé que Porto verse 300 000 euros de commission (payables en quatre ans) à Nicky Blair, officiellement parce qu’il était l’agent du club. Malgré nos documents, l’intéressé a assuré n’avoir jamais agi pour le compte de Hector Herrera lors de ce transfert et que tout a été déclaré aux autorités compétentes. Le FC Porto s’est refusé à tout commentaire.

Laurent Gutsmuth
45 000 euros la signature

Agent de paille ? Laurent Gutsmuth déteste l’expression. L’EIC l’a croisé dans un dossier où son rôle semblait pourtant aussi indispensable que famélique. Laurent Gutsmuth a joué, lors de l’arrivée de Javier Pastore au Paris Saint-Germain, le rôle d’honorable correspondant français du célèbre agent argentin Marcelo Simonian, qui ne dispose pas de licence pour travailler en France.

On pourrait croire Laurent Gutsmuth millionnaire. Il reçoit 1 010 000 euros. Mais il en reverse un million à Simonian. Alors, 10 000 euros pour une signature ? Plus compliqué que ça, répond Gutsmuth. « J’ai aussi dû gérer une partie juridique. » Nous n’en saurons pas plus.

Le fait d’avoir vécu en Amérique du Sud a permis à l’agent français de se faire un carnet d’adresses en or, et de compter, depuis six ans qu’il exerce cette activité, une dizaine de clients sud-américains, en plus de ses clients traditionnels, explique-t-il.

gutsmuth

Son premier client historique ? Thiago Silva. Enfin, Paulo Tonietto, l’agent brésilien, qui, lui non plus, n’avait pas de licence pour exercer en France. Coup de bol pour Gutsmuth, Tonietto négocie bien. Quand Thiago Silva prolonge au PSG, et passe d’une rémunération nette d’environ 6 millions d’euros à quelque 8 millions par an, Tonietto, touche 2 millions d’euros de la part du PSG. Un pourcentage hallucinant. Et Gutsmuth ? 45 000 euros.

Là aussi, Laurent Gutsmuth fait valoir qu’il n’y a pas seulement la prolongation de contrat qui est rémunérée. Mais aussi un suivi, une relation, une aide, médicale ou logistique. « C’est une prime à la confiance. »

Toujours pas agent de paille, donc ? « Non, mon rôle varie selon les joueurs. Avec Cavani, je fais plus de commercial. Mais si on me proposait un rôle de simple agent de paille, j’accepterais sûrement. »

En attendant, le business des prolongations de contrats est lucratif sans être éreintant, surtout quand c’est le « vrai agent » qui négocie. Dans tous les cas, on peut penser que si les agents touchent autant pour une simple prolongation de contrat, c’est parce que les clubs les remercient de ne pas pousser leurs joueurs à partir.

Eduardo Applebaum
9 coups de fil + 2 mails = 1,5 million

Eduardo Hernández Applebaum est un homme qui sait compter. Onze jours de boulot, neuf coups de téléphone, deux mails, sept rencontres avec son joueur et les responsables des clubs impliqués : voilà les efforts qu’il a déployés en août 2015 pour le transfert du joueur Javier Hernández Balcázarde de Manchester United au Bayer Leverkusen. Pour ce job exténuant, l'agent basé à San Antonio (Texas) peut viser d'ici septembre 2017 une commission totale de 1,5 million d'euros payée en trois fois par le club allemand, si son joueur y reste jusque-là. Pas mal pour onze jours de travail à temps partiel. Ça vous met la journée à 136 363 euros. Il en a déjà touché les deux premiers paiements, pour 1,1 million.

On le sait parce que Leverkusen a une politique originale qui gagnerait à être étendue : le club exige des agents qu'ils répertorient le travail qu'ils ont réalisé. Cela donne de jolis tableaux à quatre colonnes où l'agent doit noter la date, le thème, le moyen de contact et le résultat. Applebaum a donc consciencieusement rempli le « protocole » pour Chicharito : il y en a deux pages.

Ça débute le 15 août, avec un coup de fil au Bayer « concernant l'avenir du joueur ». Le même jour, il informe le club que « JHB » – le joueur – « demande un peu de temps ». Le 19, il informe Manchester. Le 20, il reçoit l'offre du Bayer, et en discute « personnellement » avec le joueur. Le 22, il négocie tout aussi « personnellement » avec Manchester. Le 28, il reçoit l'offre du club allemand. Le 29, il « demande la décision finale du joueur ». Le 31, ils s'envolent pour Leverkusen pour signer un contrat de trois ans. Manchester United touche 10 millions, l’agent en encaisse 1,5. Bingo.

L'histoire ne s'arrête pas là. Car Eduardo Hernández Applebaum a aussi un contrat avec le club, passé le 17 août 2014. Dans cet « accord de service », il s'engage à aider le Bayer à recruter Chicharito. Son travail consiste à le « convaincre de signer ». Mais l'agent reste libre de « choisir d’agir au nom du Bayer ou non ». La tactique assez répandue : l'agent agit, puis choisit, une fois le deal établi, s'il se déclare officiellement agent du club ou du joueur.

Dans le même contrat, le Bayer requiert pourtant de l'agent qu'il assure « ne pas avoir de relation contractuelle avec le joueur » : ceci pour respecter la règle alors en vigueur qu'on ne pouvait être à la fois agent du club et du joueur. Règle purement virtuelle comme ce transfert le démontre. Surtout que le contrat entre l'agent et Leverkusen prévoit que si l'agent doit toucher une commission du joueur, elle ne sera « pas incluse dans la commission payée par le Bayer ». Cela couvre le club (il n'aura à régler à l'agent que la commission qu'il a définie en application de son accord, soit le 1,5 million d'euros évoqués plus haut) tout en n'empêchant pas l'agent de toucher un petit quelque chose du joueur...

Mieux : le Bayer inclut dans ce contrat une clause de « permission pour double représentation ». En clair, il « permet » à l'agent de représenter le joueur dans les négociations, notamment pour la négociation du salaire. « Bayer 04 Leverkusen tolère cela expressément. » Il indique que « le lien de famille entre l'agent et le joueur est connu ». Car l'agent est en effet un parent du joueur. Mais à la fin, il ne sera mentionné nulle part sur le contrat de Chicharito.