De 2002 à 2017, un programme toujours d'extrême droite

Le Front national, et notamment les gens qui le rejoignent depuis quelques années – comme Florian Philippot – réfutent le qualificatif d’extrême droite, qui correspond selon eux à un stigma social. Ils lui préfèrent le terme de « patriotes » et refusent de se placer sur un axe gauche/droite. Il s’agit pourtant d’un terme neutre « qui correspond à une réalité structurelle et historique de la vie politique française depuis les années 1880 », comme l’a rappelé sur Mediapart l’historien Nicolas Lebourg.

Marine Le Pen ne tient pas, publiquement en tout cas, de propos antisémites, négationnistes, racistes, ou prônant l’inégalité des races. Mais elle n’est pas non plus gaulliste comme elle le laisse entendre. C’est une femme d’extrême droite, avec un programme et un discours d’extrême droite. Son discours correspond au national-populisme, courant dominant de l’extrême droite française depuis les années 1880, mâtiné de néopopulisme, qui est la mutation des extrêmes droites depuis le début des années 2000 en Europe. Démonstration.

D’abord la présidente du FN n’a pas renié les racines du Front national et son histoire, celles d’un parti créé en 1972 par Jean-Marie Le Pen avec d’anciens collaborationnistes, des néofascistes, des anciens de l’OAS (Organisation armée secrète). Elle n’a jamais fait son « aggiornamento », contrairement au MSI, l’extrême droite italienne de Gianfranco Fini, qui a, lui, pris ses distances avec son passé fasciste. Si Marine Le Pen a écarté son père du parti en 2015, elle conserve encore, dans son premier cercle et au cœur de l’organisation de ses campagnes, un groupe radical d’anciens du Groupe Union Défense (GUD) accusés d’antisémitisme.

Ensuite, malgré des évolutions sémantiques, la tentative de gommer la flamme du parti et le nom de Le Pen dans sa communication, et la mise en avant de thèmes économiques, son programme comme son discours restent d’extrême droite. « Entre le FN mariniste et le FN lepéniste, les continuités l’emportent largement sur les innovations, qu’il s’agisse de l’organisation, du programme, du discours, de la stratégie ou de la sociologie de ses soutiens », souligne d’ailleurs le trio de chercheurs auteur du livre Les Faux-semblants du Front national (Presses de Sciences-Po, 2015).

On le voit d’abord dans les thèmes que la candidate porte, qui ont peu varié depuis sa création : fermeture des frontières, refus de l’immigration et du multiculturalisme, stigmatisation des personnes d’origine étrangère et notamment maghrébine, érigées en boucs émissaires. Tout son programme tourne autour de l’idée que tous les maux de notre société (insécurité physique, économique, transformation des modes de vie) auraient une cause unique : la présence de l’islam. Donc, aux problèmes d’emploi, le FN répond préférence nationale ; aux problèmes de sécurité, il dit « ce sont les arabo-musulmans ». Le Front national possède le seul programme (avec la « préférence nationale », le « protectionnisme intelligent ») qui dit pouvoir résoudre ces trois dimensions par un même élément.

Marine Le Pen est aussi d’extrême droite dans la façon d’exercer le pouvoir qu’elle prévoit : elle prône un exécutif très fort dans un contact direct avec les peuples, par-delà les corps intermédiaires, en instituant les référendums d’initiative populaire (sur proposition d’au moins 500 000 électeurs) : sur l’appartenance à l’UE, sur la révision de la Constitution. C’est une vraie proposition d’extrême droite, de type césariste.

Même chose dans sa dénonciation des élites et des médias. Si elle défend la liberté de la presse dans ses discours, la présidente du FN interdit pourtant l’accès à ses événements publics à plusieurs médias ou journalistes, dont Mediapart et « Quotidien », l’émission de Yann Barthès sur TMC. Des journalistes sont encore agressés dans des rassemblements frontistes ou en enquêtant sur le parti.

Le FN se nourrit aussi du culte de la personnalité du chef, et est structuré de manière hyper-centralisée et verticale. Une autre des caractéristiques de l’extrême droite.

Marine Le Pen a en revanche fait évoluer le programme ou le discours du parti sur quelques points. Deux exemples :
– Sur la question de l’avortement : la lutte contre le droit à l’avortement a longtemps compté parmi les fondamentaux du FN. En 2002 et 2007, le parti envisageait encore de revenir sur la loi Veil « par voie référendaire ». Pendant la campagne présidentielle de 2012, la présidente du FN avait évoqué « les avortements de confort » et s’était positionnée, dans les médias, pour le « déremboursement de l’IVG de confort » (sauf en cas de viol). Dans cette campagne 2017, elle a expliqué qu’il n’y aurait « aucune modification, ni du périmètre, ni de l’accès, ni du remboursement de l’IVG » lorsque sa nièce, la députée Marion Maréchal-Le Pen, a déclaré qu’en cas de victoire à la présidentielle, « il faudra revenir sur le remboursement intégral et illimité de l’avortement car les femmes sont des êtres responsables qui doivent être traités comme tels ».
– Sur la peine de mort :
En 2012, Marine Le Pen rompt avec un marqueur historique du parti en n’inscrivant plus dans son programme le rétablissement de la « peine de mort » pour « les crimes les plus graves » et « les trafiquants de drogue », mais un référendum proposant de choisir entre « peine de mort » et « perpétuité réelle ». En 2017, la peine de mort a disparu du projet. Dans les médias, Marine Le Pen s’y dit favorable à titre personnel, mais laisse aux Français la possibilité de la rétablir s’ils le souhaitent « via un référendum d’initiative populaire ».

Si Marine Le Pen a déclaré, en septembre, sur TF1, qu’« un islam tel que nous l’avons connu, laïcisé par les Lumières comme les autres religions », était compatible avec la République, cette phrase est loin de faire l’unanimité parmi les cadres et militants du FN. Elle est surtout en désaccord avec le lien régulier qui est effectué au sein du parti entre immigration, « islamisation », délinquance et terrorisme.

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La «priorité nationale», une doctrine contraire à la République

Contraire aux principes de 1789, la doctrine de la « priorité nationale », qui renvoie dans l’imaginaire collectif français à l’usage qu’en a fait Vichy contre les juifs et qui constitue l’un des marqueurs historiques de l’extrême droite, irrigue l’ensemble du programme de Marine Le Pen. Son instauration provoquerait une rupture fondamentale avec le système politique actuel, dont l’un des piliers est l’égalité ; elle aurait des conséquences catastrophiques pour les 4,2 millions d’étrangers (est étrangère toute personne ayant déclaré lors du recensement une nationalité autre que celle du pays dans lequel elle réside) vivant en France, qui représentent 6,4 % de la population.

Elle suppose une réforme d’envergure de la Constitution de 1958 et c’est pourquoi Marine Le Pen, qui assume vouloir « ériger la citoyenneté française en privilège », a prévu de lui consacrer un référendum. La « priorité nationale », désormais préférée à l’expression « préférence nationale », est le principal vecteur conçu par le FN pour instaurer un « nouveau modèle patriote ». Celui-ci doit mettre « la défense de la nation et du peuple au cœur de toute décision publique » et donner la primauté à « la protection de notre identité nationale, notre indépendance, l’unité des Français, la justice sociale et la prospérité de tous ».

En matière d’emploi, la candidate d’extrême droite veut créer « une taxe additionnelle sur l’embauche de salariés étrangers afin d’assurer effectivement la priorité nationale à l’emploi des Français ». Cette proposition est sous-tendue par l’idée selon laquelle les étrangers feraient concurrence aux travailleurs autochtones et qu’ils tireraient les salaires à la baisse. Or, des travaux récents démentent ces affirmations, comme le rappelle le professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine, El Mouhoub Mouhoud, dans son livre L’Immigration en France, mythes et réalité (Fayard, janvier 2017).

Les effets de l’immigration sont de « très faible ampleur » sur les pays d’accueil, que ce soit sur le marché du travail ou les finances publiques, écrit-il. En effet, les immigrés occupent des emplois moins qualifiés que les natifs : des secteurs d’activité entiers, comme le bâtiment, la restauration, l’agriculture et les services à la personne ne fonctionnent que grâce à cette main-d’œuvre. En tant que consommateurs, ils créent, par ailleurs, de la demande supplémentaire, et donc des emplois. Ils ont enfin une plus grande propension à monter leur propre entreprise, ce qui bénéficie à l’ensemble de l’économie.

Plusieurs études concluent même à un impact positif de l’immigration sur le salaire des natifs en France. Selon les économistes Javier Ortega et Gregory Verdugo, une augmentation de l’immigration de 10 % accroîtrait la rémunération des natifs de 3 %. Si des effets négatifs se font sentir, les premiers à en pâtir sont les travailleurs employés dans les mêmes secteurs, pour la plupart issus de vagues d’immigration antérieures.

Pour « garantir » la protection sociale, Marine Le Pen entend mettre en œuvre « une vraie politique nataliste réservée aux familles françaises ». Invitée sur LCI le 7 février, elle a évoqué un « délai de carence » de deux ans, à la fin duquel les étrangers venant d’arriver sur le sol français auraient droit aux prestations sociales. Et ce, même s’ils ont un emploi et qu’ils cotisent à la Sécurité sociale, au même titre que les travailleurs de nationalité française. En cas de maladie, les étrangers devraient « assumer » et « subvenir » aux coûts de leurs soins, a-t-elle averti. François Fillon a mentionné un projet du même type, mais son équipe a fait savoir qu’il ne concernerait que les prestations « non contributives », c’est-à-dire celles pour lesquelles les salariés ne cotisent pas (principalement les minima sociaux, certaines prestations familiales et de logement).

Plus précisément, pour valoriser le pouvoir d’achat des Français, Marine Le Pen compte amoindrir celui des étrangers : en conditionnant le minimum vieillesse (ASPA) à la nationalité française ou à 20 ans de résidence en France, elle estime que cela permettra d’augmenter les très petites retraites des Français. L’accès au logement social aussi serait restreint, afin de le « réserver prioritairement aux Français ». Une mesure « sans effet rétroactif », précise-t-elle tout de même.

Actuellement, l’accès aux prestations sociales est conditionné à la détention d’un titre de séjour de longue durée ; l’octroi du revenu de solidarité active (RSA) suppose, lui, cinq ans de résidence pour les personnes originaires de pays tiers à l’Union européenne ; quant à l’accès au logement, il est rendu plus difficile aux étrangers, en raison des discriminations qu’ils subissent de plein fouet.

Avec ses propositions, Marine Le Pen entend apporter une réponse à l’idée selon laquelle les étrangers viendraient en France pour bénéficier des aides sociales et qu’ils représenteraient une charge pour les comptes sociaux. Il s’agit pourtant d’une idée reçue. Dans leur ouvrage L’immigration coûte cher à la France ? Qu’en pensent les économistes ? (Les Échos/Eyrolles, 2012), Xavier Chojnicki et Lionel Ragot démontrent que les immigrés, surreprésentés dans les classes en âge de travailler, contribuent (en termes nets) davantage au budget de l’État que les natifs. Certes, ils sont plus souvent au chômage, mais arrivés formés sur le marché du travail français, ils n’ont rien coûté à l’État en matière d’éducation ; plus jeunes, ils travaillent plus longtemps et cotisent donc plus longtemps, tout en profitant moins de leur retraite puisque, en tant qu’ouvriers, leur durée de vie est plus courte.

En matière de santé, Marine Le Pen veut « réaliser des économies » en supprimant l’aide médicale d’État (AME), qui aujourd’hui permet aux personnes en situation irrégulière d’accéder aux soins de base. Elle propose également de relever le numerus clausus d’accès aux études de santé « pour éviter le recours massif aux médecins étrangers ».

Concernant l’AME, les experts sont unanimes pour dire que la suppression de l’AME aurait des effets désastreux en matière de santé publique (à cause du risque de diffusion des épidémies) et serait financièrement contre-productive (plus les maladies sont prises en charge tardivement, plus elles coûtent cher à la collectivité). Le défi pour les pouvoirs publics est en réalité inverse : comment faire en sorte que des personnes plus démunies que les autres accèdent effectivement aux droits qui leur reviennent.

L’école n’échappe pas aux foudres de la candidate du FN. Le 8 décembre 2016, celle-ci a déclaré vouloir mettre fin à l’éducation gratuite pour les enfants étrangers : « Si vous venez dans notre pays, ne vous attendez pas à ce que vous soyez pris en charge, à être soignés, que vos enfants soient éduqués gratuitement. Maintenant, c’est terminé, c’est la fin de la récréation ! » Mais priver les enfants étrangers d’éducation serait là encore contraire à la Constitution, aux lois Ferry sur l’enseignement primaire obligatoire, laïc et gratuit, ainsi qu’à la Déclaration universelle des droits de l’homme et à la circulaire ministérielle du 6 juin 1991.

En l’état actuel du droit, la mise en œuvre de telles mesures discriminatoires est impossible. Dans une décision du 22 janvier 1990, le Conseil constitutionnel a par exemple censuré une loi qui introduisait une différence de traitement entre des Français et certaines catégories d’étrangers résidant régulièrement en France, et ce au motif qu’elle mettait en cause le principe constitutionnel d’égalité. Pour contourner ce principe, Marine Le Pen doit nécessairement en passer par un référendum (article 89 si elle dispose d’une majorité parlementaire, article 11 dans le cas inverse).

Le seul garde-fou pourrait alors résider dans l’alinéa 5 de l’article 89 de la Constitution, qui prévoit que « la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision ». Cette interdiction pourrait empêcher que soit mis à mal le principe d’égalité dont la Constitution considère qu’il est l’un des trois piliers du régime républicain, avec la liberté et la fraternité.

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Institutions : la fin des contrepouvoirs démocratiques

C’est une des principales habiletés du programme de Marine Le Pen, une illustration intéressante de cette « stratégie de dédiabolisation » mise en œuvre depuis des années. Le Front national a historiquement un problème avec la République, plus largement avec la démocratie. L’extrême droite a toujours considéré la démocratie représentative fondée sur l’État de droit et un ensemble de normes juridiques comme une dangereuse contrainte venant menacer ce qui est son ADN : la relation directe et sans limite du « chef » à son peuple.

Jean-Marie Le Pen avait agrégé autour de lui une coalition hétéroclite de néofascistes, de conservateurs autoritaires, de monarchistes revanchards, de théoriciens de l’État fort, tous pouvant se retrouver dans le slogan « Crève la gueuse, crève la République ! » des ligues factieuses de l’entre-deux-guerres. Le traditionnel rassemblement du 1er Mai devant la statue de Jeanne d’Arc a longtemps été l’occasion de vilipender la République. « Ils commencent tous à me gonfler avec la République ! », tempêtait encore Jean-Marie Le Pen dans un entretien à Rivarol, le 9 avril 2015.

Ce n’est plus le cas, officiellement du moins, et Marine Le Pen a achevé de prendre le tournant républicain timidement initié par son père au début des années. « Si l’on veut tenter de nous définir, je le dis sans ambages, nous sommes profondément républicains », clamait-elle le 1er mai 2013 devant cette même statue de Jeanne d’Arc, faisant d’un coup de la République un nouvel intégrisme pour protéger la nation française.

D’où l’intérêt de son programme de réformes institutionnelles. Comme dans d’autres domaines, l’opération de triangulation, consistant à puiser dans les propositions des camps adverses pour les recycler à la façon Front national, a fonctionné à plein. Qu’on en juge. Marine Le Pen veut instaurer un mode de scrutin proportionnel « avec une prime majoritaire de 30 % des sièges pour la liste arrivée en tête et un seuil de 5 % des suffrages pour obtenir des élus ». Proposition également faite par le candidat socialiste Benoît Hamon, par les écologistes, Jean-Luc Mélenchon défendant lui aussi la proportionnelle.

Autre exemple : « Créer un véritable référendum d’initiative populaire, sur proposition d’au moins 500 000 électeurs. » C’est peu ou prou ce que propose Benoît Hamon avec son « 49-3 citoyen », selon lequel une pétition ou un appel réunissant 450 000 signataires obligerait le parlement ou le gouvernement à se saisir d’un texte ou d’une proposition. Cette extension du champ du référendum d’initiative populaire – déjà timidement instituée par la réforme de 2008 – est également souhaitée par les écologistes. Jean-Luc Mélenchon défend, lui, l’idée de référendum révocatoire des élus en cours de mandat.

Dernier exemple : « Abaisser le nombre de députés à 300 (contre 577 aujourd’hui) et le nombre de sénateurs à 200 (contre 348 aujourd’hui). » Une forte réduction du nombre de parlementaires était également voulue par Manuel Valls, Vincent Peillon, Alain Juppé… La proposition n’est pas reprise par Benoît Hamon mais elle fait partie du programme de François Fillon.

Alors le Front national, comme la gauche, veut-il moderniser la République, voire en changer ? Non, car les projets diffèrent radicalement. Au-delà de certaines propositions identiques, la réforme prônée par Marine Le Pen réactualise certains fondamentaux de l’extrême droite en l’inscrivant dans un cadre républicain. Il s’agit de fait de construire un État fort, « une verticale du pouvoir », comme l’a fait son ami politique Vladimir Poutine. Et pour cela trois armes sont utilisées.

D’abord une nouvelle constitution qui permettra d’inscrire dans le texte fondamental le principe de la « priorité nationale » et d’autoriser ainsi la mise en place des politiques discriminatoires en matière d’accès à l’emploi, au logement, à la santé, à l’éducation. Ce qui fonde et définit l’extrême droite – l’inégalité et la reconnaissance d’un ordre naturel hiérarchisé – serait ainsi inscrit au cœur même de la République.

La deuxième arme est l’extension « du champ d’application de l’article 11 de la Constitution ». Cet article autorise le président (la présidente) à recourir directement au référendum. Étant aujourd’hui limité dans son application (lire ici), son extension permettrait à une présidente FN de court-circuiter justement la démocratie représentative (le Parlement en premier lieu) pour entretenir un rapport direct au « peuple ». C’est la marque de fabrique de tous les régimes autoritaires.

Troisième arme, la limitation des contre-pouvoirs locaux : « Conserver trois niveaux d’administration (au lieu de six actuellement) : communes, départements et État. » La mesure peut sembler de bon sens, tant la dénonciation du « millefeuille administratif » semble faire consensus. Après les demi-réformes Sarkozy (le conseiller territorial) et Valls (la réduction du nombre de régions), Marine Le Pen réussirait là où les autres ont échoué…

Mais cette mesure dit bien autre chose : c’est un retour brutal sur trente-cinq ans de décentralisation et de transferts de compétences de l’État central vers les collectivités locales. Le FN veut supprimer les régions, les intercommunalités, sortir de l’Europe et ne garder que la mairie, le département, l’État. C’est oublier qu’une très large majorité des 36 000 communes françaises ne peuvent aujourd’hui survivre que par ces intercommunalités défendues par les maires parce qu’elles permettent d’avoir les moyens budgétaires de gérer des « bassins de vie » à l’échelle des habitants. C’est oublier le poids décisif pris aujourd’hui par les régions, les spécialistes des collectivités estimant que l’échelon à supprimer serait le département et certainement pas la région.

Ces trois mesures dessinent le vrai projet du Front national : l’exaltation d’un État fort et l’affaiblissement ou la suppression de nombreux contre-pouvoirs. Marine Le Pen ne dit ainsi rien d’un renforcement des pouvoirs du Parlement. La « conversion républicaine » de l’extrême droite française a un prix : un État vertical à la main du chef de l’État. Aucun des aspects monarchiques de la Ve République n’est ainsi remis en cause : pouvoir de nomination détenu par le président de la République, pouvoir d’engager seul le pays dans une guerre, pouvoir sur la justice. « Je l’aime bien cette Ve République », notait d’ailleurs Marine Le Pen, lors du débat télévisé du 20 mars sur TF1 (lire également notre enquête «Si Marine Le Pen était présidente»).

Sans doute est-ce cette basse intensité démocratique de la Ve République que la présidente du FN veut défendre. Comme le dit Paul Alliès, professeur émérite de science politique à la Faculté de droit de Montpellier dans un billet de blog publié sur Mediapart, « le régime de la Ve République est parfaitement compatible avec sa conception césariste de l’exercice du pouvoir ».

C’est surtout l’État fort, l’État-nation pour ne pas dire l’État ethnique que défend Marine Le Pen : « L’État-nation doit à nouveau s’imposer par une remise en ordre de ses objectifs et de ses méthodes », déclarait-elle à Tours en janvier 2011. « Sans État fort, il n’y a pas de sécurité, sans autorité, il n’y a pas de sécurité », ajoutait-elle en novembre 2011. État fort, régime autoritaire, contre-pouvoirs effacés : voilà le vrai projet du FN.

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L’identité nationale, machine de guerre contre l’islam

Souhaitant afficher l’image d’un parti ouvert, le Front national avance désormais à couvert, sans nommer sa cible : les musulmans. Le 11 septembre 2016 sur TF1, Marine Le Pen, nouvelle adepte de « la France apaisée », a affirmé que son parti « ne vis[ait] en aucune manière à opérer des discriminations. Nous défendons tous les Français ». Dans son programme, il n’est donc question que de principes « républicains » : laïcité, égalité homme-femme, liberté scolaire, etc. Même l’assimilation devient « républicaine ».

Mais le parti détourne ces principes pour en faire des armes à l’usage exclusif de son obsession antimusulmane. L’ennemi est réapparu lors du meeting de Marine Le Pen à Lyon, le 5 février 2017 : « Nous ne voulons pas vivre sous le joug ou la menace du fondamentalisme islamique. » « Ils veulent nous imposer des salles de prière, les mosquées catholiques, le voile islamique, la soumission de la femme, interdite de jupe, de travail ou de bistrot, a avancé la candidate. Mais aucun Français, aucun républicain, aucune femme attachée à sa liberté et à sa dignité ne peut l’accepter. » C’est donc sur le dos des musulmans, assimilés aux plus radicaux d’entre eux, que le FN veut rassembler et construire son identité nationale.

Défendre les droits des femmes : lutter contre l’islamisme qui fait reculer leurs libertés fondamentales ; mettre en place un plan national pour l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, et lutter contre la précarité professionnelle et sociale.

Rompant avec les propos misogynes de son père, Marine Le Pen s’est emparée des sujets féministes par opportunisme, pour séduire un électorat féminin et en faire une arme contre les musulmans. Les droits des femmes sont uniquement abordés sous l’angle de la lutte contre « l’immigration massive » et le « fondamentalisme musulman ». « Il y a un énorme problème dont personne ne parle […], c’est le recul des droits des femmes lié au fondamentalisme islamiste », a ainsi affirmé la candidate FN sur RTL, le 8 mars 2017.

Pour le reste, elle n’avance aucune mesure concrète, quand elle prétend vouloir favoriser l’égalité salariale homme-femme. Au Parlement européen, elle a ainsi voté contre les deux textes qui allaient en ce sens : le rapport Estrela, en décembre 2013, qui réclamait un accès généralisé à la contraception et à des services d’avortement sûrs, et le rapport Zuber, en mars 2014, qui ciblait les effets de la crise économique sur les femmes. Ce dernier demandait notamment le respect du principe « à travail égal, salaire égal », l’interdiction des démissions forcées en cas de maternité, la lutte contre les stéréotypes sexistes et des mesures pour améliorer la représentation des femmes dans les sphères politiques et dans les conseils d’administration des entreprises.

Le 16 octobre 2016, sur BFM TV, Marine Le Pen s’en remettait d’ailleurs, sur le sujet de l’égalité homme-femme, aux acteurs économiques : « Personne n’a la baguette magique sur l’inégalité salariale entre les hommes et les femmes. Et est-ce que le politique doit toujours intervenir ? Est-ce que ce n’est pas au dialogue syndical d’avancer sur ces sujets ? Est-ce que ce n’est pas dans le dialogue entre syndicats patronaux et syndicats de salariés qu’on doit pouvoir avancer sur cette inégalité salariale ? » C’est dire sa volonté d’agir en la matière. Or, force est de constater que ce dialogue ne suffit pas : tous temps de travail confondus, les hommes gagnaient en 2014 23 % de plus que les femmes. Près de 11 % des écarts de salaire entre les deux sexes sont inexpliqués et relèvent d’une discrimination « pure ». Pour expliquer son opposition à la parité ou à un ministère des droits des femmes, Marine Le Pen avait d’ailleurs lancé, le 5 avril 2012 : « On n’est pas une espèce à protéger ! » Le FN est donc pour l’égalité, mais elle devra se faire toute seule…

Lors de la campagne présidentielle de 2012, Marine Le Pen s’était prononcée dans les médias pour le « déremboursement de l’IVG de confort » (sauf en cas de viol). Cette question n’est plus abordée dans le programme 2017. En décembre dernier, la candidate avait repris sa nièce, Marion Maréchal-Le Pen, qui voulait revenir sur le remboursement de l’IVG, en assénant que « le périmètre de l’accès à l’IVG et son remboursement ne font pas partie de mon programme ». Le « salaire maternel », conçu comme un moyen de renvoyer les femmes au foyer, a lui aussi disparu du programme 2017. Ce dernier prévoit en revanche de revenir sur le partage du congé parental entre les parents. Cette réforme irait contre l’égalité homme-femme.

Garantir la liberté de scolariser ses enfants selon ses choix, tout en contrôlant plus strictement la compatibilité des enseignements dispensés dans les établissements privés hors contrat avec les valeurs de la République.

Les établissements hors contrat ne sont pas tenus de respecter les programmes de l’Éducation nationale et leurs professeurs ne sont pas rémunérés par l’État. Selon les chiffres du ministère de l’éducation nationale, on comptait à la rentrée 2016 environ 1 200 écoles hors contrat dans les premier et second degrés, un nombre en forte croissance.

Sur 61 885 enfants scolarisés hors contrat en 2015, seuls 21 402 l’étaient dans un établissement confessionnel : 11 756 élèves dans une école catholique, 4 150 dans une école juive, 4 066 dans une école musulmane et 1 430 dans une école protestante. Alors que le FN vise, sans les nommer, les écoles musulmanes hors contrat, on voit donc que c’est bien l’enseignement catholique qui se taille la part du lion dans le hors contrat. Bon nombre des établissements musulmans, qui se sont multipliés ces dernières années par effet de rattrapage, sont d’ailleurs voués à passer sous contrat, mais ils doivent pour cela justifier d’une existence de cinq ans.

À la suite des attentats de 2015, le gouvernement socialiste, craignant que certains d’entre eux ne constituent des foyers de radicalisation, avait lancé une vague d’inspections ciblées dans une vingtaine d’établissements privés hors contrat (confessionnels et non confessionnels). Ces inspections n’ont relevé aucun phénomène de radicalisation, mais des « lacunes pédagogiques préoccupantes » pour huit établissements. « Ni djihad, ni extrême droite, ni promotion de valeurs hostiles à la République, mais plutôt une pauvreté pédagogique, un trop faible niveau scolaire », avait précisé le ministère de l’éducation nationale dans La Croix. Les craintes soulevées par le FN relèvent donc du fantasme.

Najat Vallaud-Belkacem avait également tenté de modifier le régime d’ouverture des écoles privées, pour passer d’un régime de déclaration à un régime d’autorisation plus contraignant, mais cette réforme a été récemment censurée par le Conseil constitutionnel.

Promouvoir la laïcité et lutter contre le communautarisme. Inscrire dans la Constitution le principe : « La République ne reconnaît aucune communauté. » Rétablir la laïcité partout, l’étendre à l’ensemble de l’espace public et l’inscrire dans le code du travail.

Marine Le Pen n’a pas fait mystère de sa volonté d’interdire dans l’espace public le port du voile et, pour faire bonne mesure, de la kippa. Sous couvert de défense de la laïcité, c’est l’islam qui est encore une fois visé. La loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État prévoit deux obligations pour l’État : ne pas se mêler des affaires des cultes et garantir la liberté de conscience (croire ou ne pas croire, pratiquer ou ne pas pratiquer) à tous les citoyens. « La laïcité, c’est d’abord une liberté, celle de croire ou de ne pas croire, a expliqué sur Mediapart Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité. C’est l’indépendance de l’État par rapport aux religions. C’est aussi la neutralité absolue des agents publics. Mais pas des usagers du service public ! » L’idée que rétablir la laïcité partout consisterait à bannir tout signe religieux de l’espace public est une interprétation fausse de la loi de 1905. Deux exceptions sont récemment venues entamer ce principe : la loi interdisant le voile à l’école, en 2004 et celle bannissant le voile intégral dans l’espace public, en 2010. « La reconnaissance de la liberté de conscience passe également par le droit de manifester sa religiosité dans l’espace public, dans un cadre donné, rappellent dans Le Monde plusieurs chercheurs. C’est la raison pour laquelle toute personne est libre de s’habiller ou d’arborer le signe religieux de son choix dans l’espace public, à condition de ne pas porter atteinte à l’ordre public. »

L’inscription de la laïcité dans le code du travail, elle, semble inutile. D’après le rapport de l’Observatoire de la laïcité, les cas de conflits liés à la laïcité dans le monde du travail restent très limités.

Quant au communautarisme régulièrement reproché aux habitants des quartiers populaires, il est, pour beaucoup de musulmans, en grande partie fantasmé. Et quand il existe, il reste plus subi que choisi. Si le FN veut s’attaquer à un vrai « communautarisme » assumé, il peut se tourner vers la grande bourgeoisie. C’est, selon les sociologues Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, la dernière « classe pour soi, mobilisée pour sa reproduction, pour le maintien des avantages acquis et la transmission des positions dominantes au sein de la confrérie des grandes familles ». « On ne cesse de parler de “ghetto”, de “communautarisme”, à propos des banlieues défavorisées, remarquait dans un entretien Monique Pinçon-Charlot, ex-chercheuse au CNRS. Or, les vrais ghettos, je ne les connais que dorés, dans les beaux quartiers. Neuilly, la villa Montmorency, tous les endroits que nous avons étudiés, sont peuplés par une communauté de gens de même naissance. »

Renforcer l’unité de la nation par la promotion du roman national.

En utilisant le terme « roman », le FN fait ouvertement la promotion d’une instrumentalisation – voire d’une falsification – politique de l’Histoire. Celle-ci n’est plus vue comme une science, mais comme un support au patriotisme. Il faut donc passer sous silence les thèmes historiques peu glorieux pour la France : « la traite des Noirs, la colonisation et ses excès, le régime de Vichy », etc. (liste Le Monde).

Le roman national, approche datée, remonte à la fin du XIXe siècle, quand il fallait unifier la France. Cette façon de faire de l’histoire oublie les « hasards, [les] interruptions, [les] périodes sombres ou d’échecs » et met en avant « les dates glorieuses, les héros et les personnages méritants »remarquait en octobre 2016 Patricia Legris, universitaire rennaise et auteure de Qui écrit les programmes d’histoire ? (PUG, 2014). 

« Il faut sans se lasser et sans faiblir opposer une fin de non-recevoir à tous ceux qui attendent des historiens qu’ils les rassurent sur leurs certitudes, cultivant sagement le petit lopin des continuités », mettait en garde l’historien Patrick Boucheron, lors de son entrée au Collège de France en décembre 2015. Il a récemment publié, avec 122 chercheurs issus d’une jeune garde, une Histoire mondiale de la France qui fait une large part aux ruptures et aux influences venues d’ailleurs.

Le refus des repentances d’État qui divisent.

De quelles repentances parle le FN ? À la suite de la décision de François Hollande de commémorer le 19 mars les accords d’Évian de 1962, qui ont acté le cessez-le-feu en Algérie, le FN avait condamné les « actes de repentance au nom de la France sur la Seconde Guerre mondiale, l’esclavage et maintenant la guerre d’Algérie ». Derrière ce refus, il y a un soutien plus ou moins assumé à certains actes criminels perpétrés au nom de l’État français. Interrogée en décembre 2014 sur les sévices infligés par la CIA à des personnes suspectées de terrorisme, Marine Le Pen a par exemple refusé de condamner la torture. La députée européenne avait déclaré : « Moi, je ne condamne pas […]. Sur ces sujets-là, il est assez facile de venir sur un plateau de télévision pour dire : “Ouh la la ! C’est mal.” » « Dans les cas où une bombe – tic-tac tic-tac tic-tac – doit exploser dans une heure ou deux et accessoirement peut faire 200 ou 300 victimes civiles, dit-elle, il est utile de faire parler la personne. »

Des propos que ne renierait pas son père, Jean-Marie Le Pen, qui a défendu à plusieurs reprises l’usage de la torture dans certains cas. Ainsi, en juin 2002, en réponse à des accusations de tortures qu’il aurait pratiquées lorsqu’il était parachutiste en Algérie, il avait justifié : « C’est un terme très vague, la torture. Ça commence où ? Ça finit où ? Les procédés d’interrogatoires musclés se trouvaient justifiés par le secret, qui était l’arme principale des terroristes. » Cette réécriture de l’Histoire et ce refus des repentances, en plus de leur caractère mensonger, risquent donc de diviser les citoyens français plutôt que de les réunir.

Promouvoir l’assimilation républicaine (sic), principe plus exigeant que celui d’intégration.

« Il n’y aura pas d’autres lois et valeurs que françaises. Ceux qui sont venus vivre en France, ce n’est pas pour vivre comme chez eux, sinon il fallait rester », a déclaré Marine Le Pen lors de son meeting à Lyon en février dernier. À Toulon, en décembre 2015, sa nièce Marion Maréchal-Le Pen avait expliqué, sans être démentie par sa tante, que la culture chrétienne s’imposait à la République – propos quelque peu contradictoire avec la laïcité : « Nous ne sommes pas une terre d’islam, et si des Français peuvent être de confession musulmane, c’est à la condition seulement de se plier aux mœurs et au mode de vie que l’influence grecque, romaine, et 16 siècles de chrétienté ont façonnés. »

L’assimilation nous fait remonter au temps des colonies. « Développée dans le contexte des guerres coloniales françaises au XIXe siècle, la notion d’assimilation désigne le processus par lequel les indigènes devaient progressivement adopter les mœurs, valeurs, langues, lois et coutumes françaises permettant d’unifier et de pacifier les populations sous l’autorité de la République, qui devait s’en trouver ainsi renforcée »détaille l’historien Yvan Gastaud, maître de conférences à l’université de Nice. Il constate que le terme « intégration » a disparu du discours public pendant le quinquennat de François Hollande, signe d’un renoncement faisant le lit idéologique du FN. Car l’assimilation, dont les modalités pratiques restent à définir, c’est l’effacement de l’autre, à qui l’on demande de renier son passé, sa culture.

Rétablir l’égalité réelle et la méritocratie en refusant le principe de « discrimination positive ».

La méritocratie, selon laquelle la distribution des positions sociales se ferait naturellement selon les talents et les efforts de chacun, sans influence aucune de l’origine sociale, est une fiction. Où serait-ce à dire que les enfants d’ouvriers sont, de naissance, moins talentueux que ceux de cadres ? La dernière enquête PISA montre que l’école française demeure la plus inégalitaire de l’ensemble des pays de l’OCDE. « La relation entre performance et milieu socio-économique des élèves est l’une des plus fortes parmi les pays et économies participant à l’enquête PISA 2015 », note le rapport. En France, près de 40 % des élèves issus d’un milieu défavorisé sont en difficulté, contre 5 % pour les élèves issus d’un milieu favorisé.

L’« égalité réelle » consisterait donc plutôt à donner plus aux élèves qui ont moins. C’est ce qu’a tenté de faire la gauche en France à partir de juillet 1981 en créant les zones d’éducation prioritaire (ZEP). Mais cette discrimination positive, décriée par le FN, n’a en réalité jamais été vraiment mise en place. Une étude du Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnseco) a montré, en septembre 2016, que notre système scolaire accroissait plutôt les inégalités déjà existantes entre élèves. « Nous n’avons pas de discrimination positive dans le cadre de l’éducation prioritaire. Nous avons réellement une discrimination qui est négative, estimait alors sa présidente, Nathalie Mons, sur France Inter. Les élèves défavorisés sont dans des contextes qui sont beaucoup moins porteurs pour les apprentissages : ils ont des temps d’enseignement qui sont plus courts, ils ont des enseignants qui sont moins expérimentés […] et ils vivent aussi dans des contextes en termes d’insécurité et d’incivilité qui sont beaucoup moins porteurs. »

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Immigration : une politique irréaliste qui met la France en péril

Obsession historique du FN depuis sa création en 1972, le rejet de toute forme d’immigration prend encore une fois une place centrale dans le programme de Marine Le Pen. Ses propositions visant à « retrouver des frontières qui protègent » (voir notre fiche sur la sortie de l’espace Schengen) et à « en finir avec l’immigration incontrôlée » vont de pair avec le « choix patriote » qu’elle entend incarner dans la campagne présidentielle.

Caricaturant l’un de ses principaux concurrents, Emmanuel Macron, elle en fait le « candidat de l’immigration massive », le candidat du « choix mondialiste ». À chaque meeting, conférence de presse ou intervention télévisée, elle se sert de cette question comme d'un punching-ball. Elle frappe, elle frappe, tous les coups sont permis : chiffres délirants, insinuations, préjugés à relents racistes. Alors même que depuis des années des chercheurs, des syndicalistes et des associations dénoncent son recours aux « fake news », rien n'y fait, rien ne l'arrête, les immigrés restent sa cible privilégiée.

Marine Le Pen s’en prend en priorité aux personnes en situation irrégulière. Comme dans cette émission où, par glissements successifs, elle associe les « clandestins » au vol et à la violence conjugale : « La tolérance, ça veut dire quoi la tolérance ? Moi je suis extrêmement tolérante et hospitalière (...). Est-ce pour ça que vous accepteriez que douze clandestins viennent s'installer dans votre appartement ? Vous n'accepteriez pas. Et si, de surcroît, ils changent votre papier peint et même, pour certains d'entre eux, ils volent votre portefeuille et brutalisent votre femme ? Vous n'accepteriez pas. Par conséquent, nous sommes accueillants. Mais c'est nous qui décidons avec qui », a-t-elle affirmé en 2012 sur une télévision australienne. 

Suite logique de ces propos, qu'elle assure ne pas avoir prononcés lors d'un récent entretien avec la journaliste de CNN Christiane Amanpour (malgré la diffusion de la séquence), elle déclare dans son programme présidentiel qu'elle veut rendre « impossibles » leur régularisation et leur naturalisation, tout en « simplifiant » et « automatisant » leur expulsion. Elle affirme également vouloir supprimer la seule aide sociale à laquelle ils ont droit, l’aide médicale d’État, qui leur permet d’accéder aux soins de base.

C’est donc sans surprise une politique ultra dissuasive et répressive qu’elle préconise. Par définition difficilement chiffrable, le nombre de sans-papiers est estimé en France entre 200 000 et 400 000 depuis plusieurs années. La plupart d'entre eux occupent des emplois précaires et vivent dans des conditions de grande vulnérabilité. En refusant d’envisager des critères de régularisation, elle empêche toute perspective d’intégration et voue ces personnes à la clandestinité. Seuls les chefs d’entreprise les moins scrupuleux auraient de quoi se réjouir d'une telle politique susceptible de leur garantir une manne intarissable de main-d’œuvre corvéable à merci.

Ce que fait mine d’ignorer Marine Le Pen, c’est le coût gigantesque que représenterait pour les finances publiques l’expulsion effective d’un si grand nombre de personnes. Outre qu’il existe des droits nationaux, européens et internationaux interdisant les retours forcés de certaines catégories d’étrangers, le budget de reconduites systématiques à la frontière s’élèverait à 4 milliards d’euros dans l’hypothèse basse, à 12 milliards d’euros dans l’hypothèse haute (le coût d’une expulsion est estimé entre 20 000 euros par personne selon le Sénat et 30 000 euros selon la Cimade), soit plus qu’il n’en faut pour engager une politique d’accueil digne de ce nom.

Les demandeurs d’asile, fuyant la guerre et la répression, sont aussi dans son collimateur. Alors que l’immense majorité d’entre eux parviennent en France par leurs propres moyens, après avoir risqué leur vie en mer car les voies légales sont bloquées, Marine Le Pen affirme que le statut de réfugié ne pourra plus être accordé « qu’à la suite de demandes déposées dans les ambassades et consulats français dans les pays d’origine ou les pays limitrophes ». Aujourd’hui, la délivrance de visas humanitaires par ce biais ne concerne que quelques milliers de personnes. Refuser d’admettre les réfugiés ayant réussi à rejoindre la France serait non seulement moralement inhumain, mais aussi totalement contraire à la Convention de Genève de 1951, dont la France et l'ensemble des pays de l'Union européenne sont signataires.

Mais Marine Le Pen ne s’en tient pas aux sans-papiers ni aux demandeurs d’asile. Elle veut aussi réduire drastiquement l’immigration légale. Sans que l’on sache pourquoi, elle ne plaide plus pour l’« immigration zéro », mais pour un quota de 10 000 migrants net (en déduisant les sorties des entrées) par an. Ce solde actuel s’établit autour de 174 000 selon les dernières estimations statistiques de l’Insee.

Selon le bilan démographique de la France, en 2016, comme par le passé, l’augmentation de la population doit plus au solde naturel (les naissances moins les décès) qu’au solde migratoire. L’Hexagone ne peut toutefois pas se passer d’immigration. Le seuil de remplacement de la population étant de 2,1 alors que son taux de fécondité est de 1,89, il manque environ 100 000 naissances par an pour assurer le remplacement des générations.

Un solde migratoire de 10 000 tel que proposé par Marine Le Pen serait donc insuffisant pour combler ce déficit. Sur 65,8 millions d’habitants, seuls 6,4 % sont de nationalité étrangère, ce qui place la France dans la moyenne européenne et la met à l’abri de tout risque d’« invasion », contrairement à ce qu’affirment les théoriciens du « grand remplacement » auxquels Marine Le Pen prête une oreille attentive. À l'encontre de toute réalité statistique, elle alimente cette peur sans cesse, depuis des années. Ainsi lorsqu'elle affirme, lors de sa « conférence présidentielle » du 13 mars 2017, que « la situation est devenue incontrôlable quand année après année, c'est par millions que se sont établis en France des migrants ». Elle mêle à cette peur les pires préjugés, glissant de l'immigration aux « problèmes », aux « intimidations », aux « agressions antifrançaises » jusqu'aux « actes terroristes ». « Depuis quarante ans au moins, a-t-elle dit à cette occasion, tout observateur lucide et objectif voit monter les problèmes quand depuis trop d'années, d'intimidations en intimidations et d'agressions antifrançaises en actes terroristes, la perspective de la guerre civile n'est plus un fantasme. »

Pour limiter l’immigration légale, Marine Le Pen affirme vouloir mettre fin à l’automaticité du regroupement et du rapprochement familial, ainsi qu’à l’acquisition automatique de la nationalité française par mariage. Il n’existe pourtant à l’heure actuelle aucune « automaticité » : des conditions de durée de présence sur le territoire, de ressources et de connaissance de la langue française, entre autres, sont déjà prévues. Par ailleurs, les restrictions à l'immigration familiale sont strictement encadrées par le droit à mener une vie familiale normale, inscrit dans le préambule de la Constitution française et à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

L'accès à la naturalisation, enfin, serait réduit à la portion congrue. « On accorde la nationalité beaucoup trop facilement ces dernières années. Y compris à ceux qui ont des casiers judiciaires », a déclaré Marine Le Pen sur France 2 le 9 février. C’est doublement faux : le nombre des acquisitions de la nationalité par décret et par mariage s’établit à 88 775 en 2016, soit un volume inférieur aux presque 100 000 délivrés en 2010 alors que Nicolas Sarkozy était chef de l’État. Par ailleurs, les demandes de naturalisation d’étrangers ayant été condamnés à une peine égale ou supérieure à six mois de prison sans sursis sont jugées irrecevables. Pour l’ensemble des requérants, des contrôles existent, notamment via les enquêtes préfectorales diligentées au domicile des personnes pour vérifier leurs supposées « bonnes vie et mœurs ».

D’une manière générale, Marine Le Pen veut supprimer le droit du sol, selon lequel un enfant né en France de parents étrangers devient automatiquement français à sa majorité. Ce droit du sol s’inscrit dans l’« usage républicain », selon l’expression de l’historien Patrick Weil. Dès 1791, la Constitution prévoyait, outre l’attribution de la citoyenneté par filiation (droit du sang), que soient considérés comme des citoyens français « ceux qui, nés en France d’un père étranger, ont fixé leur résidence dans le Royaume ». Le code civil de 1804 a reconduit cette possibilité. Le remettre en cause reviendrait donc paradoxalement à détruire une partie de ce que l’on pourrait appeler l’« identité nationale », pourtant chère à Marine Le Pen. En affirmant vouloir supprimer la double nationalité extra-européenne, elle revendique une mesure non seulement discriminatoire, mais aussi contraire aux textes internationaux qui l’autorisent.

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Union européenne : par ici la sortie

Dans son « projet présidentiel » en 144 points présenté mi-février, Marine Le Pen propose un « référendum sur notre appartenance à l’Union européenne ». Objectif : « Retrouver notre liberté et la maîtrise de notre destin en restituant au peuple français sa souveraineté (monétaire, législative, territoriale, économique). » Sortie de l’Union européenne et sortie de la zone euro ne sont plus mentionnées telles quelles, comme lors de précédentes campagnes, mais en dépit de ce lissage, c’est bien de cela qu’il s’agit. Le 23 février, dans une conférence à Paris portant sur sa « vision internationale », Marine Le Pen qualifiait ainsi l’UE de « totalitaire ». « L’Union diminue la France, elle la sépare du monde. Je ne me résous pas à voir la France diminuée, dépendante, séparée. […] Il est temps d’en finir avec l’UE », assurait celle qui, sept mois plus tôt, s’était félicitée de l’issue du référendum britannique. « Oui, il est possible de sortir de l’UE ! » s’était-elle exclamée le 24 juin 2016.

Outre qu’il y a une contradiction fondamentale à dire que l’appartenance à l’UE sépare la France du monde alors que c’est précisément ce qui l’ouvre et la relie à ses voisins européens, la négociation pour sortir de l’Union devrait, dans la tête de la présidente FN, aller très vite – quand bien même l’exemple du Brexit montre qu’il faudra certainement plus de deux ans pour réaliser ce qui s’impose d’abord comme un casse-tête juridique : dans un entretien accordé à Valeurs actuelles en juillet dernier, la candidate d’extrême droite déclarait qu’un référendum organisé dans les six mois après son élection devrait déboucher sur « une période de renégociation profonde de la nature de l’Union européenne ». Quand on lui pose la question de savoir comment cette sortie pourrait être organisée rapidement, elle répond : « J’aimerais que l’on arrête avec certains arguments techniques qui ne sont là que pour écarter les peuples des grands choix de leur destinée. S’est-on posé cette question lors de la chute du mur de Berlin ? S’est-on dit “ça va être compliqué” ? Non ! Ça s’est fait, point. »

L’organisation d’un référendum suppose cependant que les deux assemblées fassent une proposition conjointe ou que le gouvernement s’en saisisse. Autrement dit, il ne suffit pas que Marine Le Pen soit élue présidente, encore faut-il qu’elle dispose d’une majorité parlementaire.

En fait, sur ce point comme sur de nombreux autres du programme frontiste, simplification à l’extrême de la question et flou autour de la mise en œuvre dominent. Marine Le Pen fait comme si la France était seule à décider de son destin au sein de l’Union européenne. Comme s’il n’y avait pas 27 autres États membres. Comme si ceux-ci n’allaient pas réagir à pareille décision. Comme si un retrait unilatéral de la PAC (politique agricole commune), pour ne prendre qu’un exemple, n’allait pas avoir d’impact sur les exportations agricoles de l’Hexagone…

Le FN n’a pas de feuille de route pour mener la négociation et aucun objectif n’est affiché sur les différentes dimensions d’un exit français. Quid des programmes de recherche universitaire, d’échanges Erasmus, de mobilité des apprentis – auxquels ont pris part plus de 550 000 Français entre 2007 et 2015 ? Quid des fonds de développement régional, qui ont permis de réaliser d’importants investissements dans les régions les plus défavorisées du continent ? Quid de la compensation des pertes économiques entraînées par un retrait du marché économique européen ? D’après le Petit manuel économique anti-FN, réalisé par le collectif Ecolinks (éditions Le Cavalier bleu), l’appartenance de la France à l’UE génère au moins 1 à 3 points de PIB supplémentaire par an, soit entre 1 000 et 3 000 euros par an et par ménage. Comment le FN pense-t-il y remédier ? Démagogie ou impréparation totale, aucune évaluation chiffrée n’accompagne son scénario de sortie de l’UE.

Contrairement à la critique de gauche visant les institutions européennes, l’Union, dans la vision frontiste, n’est pas réformable : il s’agit de la rejeter en bloc. Elle n’est jamais envisagée sous l’angle de ses innombrables enrichissements et apports depuis les débuts de la fondation du marché commun, il y a 60 ans, et surtout, comme le cadre de paix et de sécurité qu’elle a pu apporter depuis les lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Elle n’est jamais envisagée non plus sous l’angle de la solidarité entre États membres : pas un mot sur une éventuelle restructuration des dettes publiques qui pèsent sur les économies de la zone euro, Grèce et Italie en tête.

Le FN feint en outre de croire qu’en quittant l’UE, la France retrouverait une place de grande puissance dans le monde (« Refaire de la France un pays majeur dans le monde », dit le programme). Peut-on imaginer que la France ne va pas se retrouver affaiblie par une sortie unilatérale face au bloc des autres États membres ? Qu’elle va peser ensuite, seule, plus lourd que l’UE dans les négociations internationales – qu’elles soient commerciales, diplomatiques ou environnementales ? Qu’elle va faire le poids face à la Russie, l’Inde, la Chine, le Brésil… ?

Un coup d’œil sur les programmes passés du FN montre que cette position anti-UE, aujourd’hui présentée comme une évidence, est en réalité conjoncturelle. Le FN n’a pas toujours tenu ce discours : jusqu’à la chute du mur de Berlin, l’Europe était vue positivement comme un rempart face au bloc de l’Est. Dans son premier programme présidentiel, en 1974, Jean-Marie Le Pen prônait une « européanisation des forces armées face à la menace soviétique » ; en 1978, le programme du parti proposait même une « monnaie européenne »… C’est dans les années 1990 que le virage s’effectue, après le référendum de Maastricht et une fois la « menace » communiste disparue. Avec l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti, la critique de l’UE se fait plus féroce, Bruxelles devenant peu à peu responsable de tous les maux : perte de souveraineté, chômage, immigration… Ce n’est finalement que récemment que l’austérité budgétaire prônée par Bruxelles est remise en cause : en 2012 encore, le FN promettait au budget français un retour à un déficit zéro dans les six ans, ainsi que l’interdiction de présenter un budget en déficit par la suite – autrement dit précisément ce que la Commission a cherché à imposer ces cinq dernières années.

Ce positionnement anti-UE est d’autant plus paradoxal que le FN a largement profité des institutions communautaires. Les élections européennes ont toujours été favorables au parti, et c’est au scrutin de 2014 que le parti est arrivé pour la première fois en tête d’une élection. Il siège aujourd’hui avec 24 députés – dont Marine Le Pen – au Parlement de Strasbourg. Ce qui lui permet de bénéficier au passage de la manne des financements européens : le groupe « Europe des Nations et des Libertés » dont fait partie le Front national a touché 17,5 millions d’euros de financements publics pour quatre ans. Le FN perçoit en outre des subventions du fait de son appartenance à l’AMEN (Alliance européenne des mouvements nationaux), qui regroupe six partis nationalistes sur le continent. Et comme ses collègues eurodéputés, chaque élu frontiste touche plus de 35 000 euros par mois en indemnité parlementaire, indemnité de frais généraux et frais d’assistance parlementaire. Le Front national a profité de toutes ces ressources, à tel point qu’il est aujourd’hui mis en cause pour des emplois fictifs au Parlement européen : ce dernier réclame 339 000 euros à Marine Le Pen pour l’emploi d’assistants qui auraient travaillé pour le parti pendant leur mandat, et la justice française, de son côté, a ouvert une enquête.

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Sortir de l’euro, le grand bricolage

C’est un pilier du programme du FN, résumé à l’article 35 : « Le rétablissement d’une monnaie nationale », afin de « soutenir les entreprises françaises face à la concurrence internationale déloyale ».

1 - Une dénonciation de l’euro de plus en plus partagée

Depuis le début de la crise de l’euro en 2010, la critique de la monnaie unique, à droite comme à gauche, ne cesse de gagner du terrain. La défaite du premier ministre grec Alexis Tsipras à l’été 2015, à l’issue de son bras de fer avec les créanciers à Bruxelles et à Francfort, a mis en lumière, de manière spectaculaire, les dysfonctionnements de l’union monétaire : gouvernance trop peu démocratique (de l’Eurogroupe à la BCE), déséquilibres Nord-Sud qui alimentent le soupçon d’un « euro allemand » au service de Berlin, absence d’une capacité budgétaire qui permettrait à la zone euro de fonctionner de manière plus solidaire… Les reproches faits à l’euro sont légion. Les pistes pour y répondre sont, elles, ardues.

Les thèses d’économistes francs-tireurs et opposés à l’euro, de Jacques Sapir à Frédéric Lordon, sont anciennes. La nouveauté, c’est qu’ils ont été rejoints par des intellectuels plus consensuels, à l’instar de François Heisbourg, d’Amartya Sen ou de Joseph Stiglitz. Dans un essai publié en début d’année, l’économiste américain, ex-conseiller de Bill Clinton, est à deux doigts de plaider pour la fin de l’euro, afin de « sauver l’Europe ».

C’est l’ironie de la situation : le débat intellectuel qui s’est noué autour de l’euro, surtout à gauche, crédibilise la proposition du Front national d’une sortie de la monnaie unique. Le FN met le doigt sur un vrai dysfonctionnement de l’UE, que d’autres partis, mal à l’aise, préfèrent taire. Mais cela n’enlève rien au caractère amateur de son projet. Cela n’atténue pas non plus la faiblesse du modèle alternatif qu’il propose, ni les dangers qu’il comporte pour l’économie française.

2 - À court terme, de grandes secousses à prévoir, surtout pour les plus pauvres

Dans l’esprit du FN, le retour au franc – ou à l’écu ? – doit permettre au gouvernement de reprendre le contrôle de sa politique monétaire, afin de pouvoir dévaluer. Cette dévaluation – d’au-moins 15 %, certains parlant d’une chute de 40 % – permettrait d’améliorer la compétitivité des entreprises françaises à l’étranger, sans jouer à la baisse sur les salaires. Certaines études, par exemple celle du Cepii publiée le 20 mars, doutent de la réalité de cette dévaluation : dans l'hypothèse d'un éclatement de la zone euro, le franc perdrait certes du terrain face au mark, mais s'apprécierait face à la majorité des autres devises, juge le centre d'études...

Quoi qu'il en soit, cette stratégie de dévaluation voulue par le FN présente un revers de taille : « l’inflation importée ». La facture de biens qui ne sont pas produits en France – par exemple l’électronique, la téléphonie – ou encore le prix de l’essence (le baril de pétrole est libellé en dollars) vont grimper fortement. Il n’est donc pas du tout évident que le retour au franc signifie une amélioration du pouvoir d’achat, comme le répète en boucle le FN.

Dans une étude publiée en mars, le think tank de gauche Terra Nova a sorti sa calculette : constatant qu’environ 15 % des biens consommés par les ménages français sont importés, il estime qu’une dévaluation de 18 % de la nouvelle monnaie entraînerait une hausse des prix de 3,75 % à 4,5 % sur l’ensemble de la consommation des ménages. « La facture pourrait se situer entre 1 500 et 1 800 euros par ménage et par an », écrit Terra Nova. Jacques Sapir avait publié en 2012 des prévisions plus prudentes : une dévaluation de 25 % entraînerait, d’après lui, une hausse de 6,25 % des prix à la pompe.

Face à cette critique, le FN répond qu’il s’agit de substituer, au fil des années, des produits domestiques aux produits importés, ce qui fera baisser la facture des ménages. Mais nombre d’économistes tiquent. Non seulement certains produits ne sont tout simplement pas usinables en France (il faudrait donc des années, voire des décennies, pour adapter la chaîne de fabrication hexagonale), mais surtout, il y a de fortes chances pour que le prix des produits domestiques s’aligne à la hausse sur celui des produits importés (et non l'inverse), provoquant une vague d’inflation plus large que prévu.

Autre effet pervers, souvent cité : l’augmentation du fardeau de la dette publique. Environ 60 % de cette dette est détenue par des investisseurs étrangers qui, malgré la dévaluation, continueraient de réclamer leurs remboursements libellés en euros. Si l’on garde l’hypothèse basse d’une dévaluation de 18 %, cela renchérirait la dette française – de l’ordre de 2 100 milliards aujourd’hui – de presque 500 milliards, selon les estimations de Terra Nova.

Face à ce risque, le FN promet, depuis 2014, une loi qui, si on la résume à gros traits, convertirait l’essentiel de la dette libellée en euros dans la nouvelle monnaie (en vertu de la « lex monetæ », cette règle de droit international qui s’applique ici parce que l’essentiel de la dette française – 97 % – a été émise sous des contrats de droit français). Ce qui devrait tout de même déclencher une série de contentieux d’investisseurs étrangers devant des tribunaux d’arbitrage, comme ce fut le cas en Argentine après la dévaluation du peso et les défauts de l’État argentin sur sa dette.

Seule certitude, il serait alors plus difficile pour la France d’emprunter sur les marchés. Les taux d’emprunt grimperaient, ce qui augmenterait de plusieurs milliards d’euros par an le service de la dette. Cela pourrait induire des hausses d’impôt ou des coupes budgétaires. Le FN répond qu’il fera marcher la planche à billets de la banque centrale (qui n’a pas de plafond en la matière). C’est possible, mais renforcerait encore un peu plus les risques inflationnistes.

Il n’y a pas que la dette publique. La situation pourrait aussi s’avérer chaotique pour nombre d’entreprises et de ménages. Ils ne bénéficieraient pas, eux, de cette fameuse loi qui permet de convertir les dettes publiques, quelles qu’elles soient, en monnaie nationale. Ils pourraient donc être confrontés à une explosion bien plus sévère du poids de leur dette (environ 2 800 milliards d’euros en 2016).

Dans une analyse pour l’OFCE, les économistes Cédric Durand et Sébastien Villemot établissent que 33 % de cette dette privée restera libellée en euros, après un éventuel retour au franc (« pour des raisons juridiques ou économiques »). Cette portion-là risque donc d’enfler et de provoquer des effets négatifs en chaîne. Mais les deux universitaires, partisans d’une sortie de l’euro (sans défendre, loin de là, les positions du FN), se veulent plutôt rassurants : « Même si le problème des bilans est réel et doit être pris au sérieux, son ordre de grandeur global n’est pas aussi grand que certains le prétendent », écrivent-ils.

3 - Des alternatives à l’euro dont les bénéfices sont difficiles à évaluer

Avant le référendum sur le Brexit au Royaume-Uni, les scénarios économiques les plus sinistres circulaient en cas de victoire des adversaires de l’UE. Jusqu’à présent, très peu d’entre eux se sont concrétisés (en partie parce que les négociations pour le Brexit s’ouvrent à peine, à Bruxelles). De la même manière, il faut sans doute se méfier des annonces apocalyptiques sur un éventuel retour au franc.

Mais il est aussi très probable qu’un sentiment de panique, sur les marchés financiers et au-delà, déstabiliserait profondément l’économie réelle. La zone euro elle-même, sans la France, pourrait-elle survivre ? Les conséquences, pour le reste de l’Europe, pourraient s’avérer colossales. Le temps des négociations de sortie de l’euro, la France pourrait-elle éviter une fuite massive des capitaux, comme ce fut le cas pour la Grèce, au premier semestre 2015, lorsque Tsipras négociait à Bruxelles l’avenir du pays ?

Le FN n’a toujours pas dit clairement le type de modèle qu’il prévoyait, une fois actée la sortie de l’euro. S’agirait-il d’un retour au bon vieux franc ? Ou d’une monnaie nationale, de type euro-franc, qui pourrait fluctuer avec un panier d’autres monnaies nationales dans une certaine proportion ? Auquel cas le système serait assez similaire au SME, le Système monétaire européen (1979-1993), qui s’est effondré sous les coups des spéculateurs (voir les dévaluations chaotiques du franc au début des années 1990).

Est-ce à cela que le FN pense, lorsqu’il défend un retour à la monnaie nationale ? Si tel était le cas, les difficultés posées par l’euro seraient remplacées par d’autres dangers, peut-être plus menaçants. Dans l’un de ses derniers essais, La Malfaçon, Frédéric Lordon essaie de dépasser l’aporie d’un retour au SME en imaginant confier la convertibilité des monnaies nationales, non pas aux spéculateurs des marchés, mais au seul guichet de la BCE. Un retour à un contrôle strict des capitaux, en somme. Mais le FN n’a semble-t-il pas jugé nécessaire, jusqu’à présent, de se pencher sur la question.

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Faire de la France un fortin en Europe

C’est le point 24 du programme présidentiel de Marine Le Pen : « Rétablir les frontières nationales et sortir de l’espace Schengen (un dispositif particulier pour les travailleurs frontaliers sera mis en place pour leur faciliter le passage de la frontière). » Après le retrait de la France de l’Union européenne et celui de la zone euro, c’est un nouveau retour en arrière que propose la candidate FN. Mais c’est aussi une nouvelle formule choc, non argumentée et simplifiant à l’extrême un dispositif existant depuis plus de 20 ans et aux multiples dimensions.

Cette mesure figure avec d’autres dans le chapitre « Retrouver des frontières qui protègent et en finir avec l’immigration incontrôlée ». L’arrivée d’immigrés en France n’a cependant pas grand-chose à voir avec l’ouverture et la fermeture des frontières. Depuis les attentats de novembre 2015, la France a d’ailleurs rétabli le contrôle sur l’ensemble de ses frontières dans le contexte de la COP21, puis dans celui de l’état d’urgence prolongé ; ce n’est pas cela qui a fait de la France un îlot inatteignable pour les étrangers. La fermeture des frontières n’est en outre pas synonyme de sécurité, les différents attentats survenus sur le sol français depuis 2015 ayant été commis en majorité par des citoyens de l’Hexagone.

Dans le propos du FN, il y a en réalité une méprise sur ce qu’est l’espace Schengen, lequel rassemble 26 pays, dont 22 États membres de l’UE. Ce n’est pas seulement une vaste zone de libre circulation des personnes et des marchandises. C’est aussi un dispositif de coopération policière sur le continent, y compris en matière de lutte contre le terrorisme et de surveillance commune des frontières extérieures de l’Union. La sortie envisagée par le FN signifie-t-elle une sortie de tous ces dispositifs ? Le programme ne le dit pas.

Autre question, celle de la marche à suivre pour quitter Schengen. Certes, une sortie est théoriquement possible : le processus de sortie n’est pas prévu dans les traités et implique une négociation, mais la clause opt-out existe déjà pour les États membres de l’UE qui ne souhaitaient pas ou ne pouvaient pas rejoindre l’espace de libre circulation. Le Royaume-Uni et l’Irlande disposent de ce statut, tandis que d’autres pays n’ont pas encore été autorisés à rejoindre l’ensemble (Chypre en raison de la partition de l’île, la Roumanie et la Bulgarie parce que les deux pays ne sont techniquement pas tout à fait prêts). C’est d’ailleurs paradoxal, souligne Julien Jeandesboz, chercheur à l’université libre de Bruxelles et spécialiste des questions frontalières : « Les États membres se battent davantage pour entrer que pour sortir de Schengen, telles la Roumanie et la Bulgarie. Du point de vue des gouvernements et des citoyens, c’est plutôt une zone que l’on veut intégrer ! »

La zone Schengen présente en effet d’innombrables aspects pratiques et apporte d’importantes retombées économiques. Se souvient-on encore de l’époque des files d’attentes aux frontières pour passer d’un pays à un autre ? C’est d’ailleurs une grève des transporteurs français et allemands, lassés des queues interminables aux postes-frontières, qui avait déclenché la réflexion, dans les années 1980, sur la création d’un espace commun de libre circulation. Pour la grande destination touristique qu’est la France, la suppression des facilités actuelles de circulation freinerait considérablement la venue de visiteurs étrangers. D’après une note de l’organisme public France Stratégies publiée l’année dernière, le coût à court terme, pour l’Hexagone, d’un démantèlement de l’espace Schengen serait de 10 milliards d’euros… soit 0,5 point de PIB. Par ailleurs, à moyen terme, un retrait de la France entraînerait un ralentissement des investissements étrangers : la difficulté de faire circuler les marchandises aurait un effet dissuasif sur la décision des entreprises de venir s’installer en France.

Seule conséquence de cette sortie de Schengen sur laquelle le FN s’attarde : le statut des travailleurs frontaliers. Ils sont quelque 350 000 à habiter sur le territoire français et à travailler dans un pays limitrophe (Belgique, Suisse, Allemagne essentiellement). Mais le dispositif qui serait mis en place pour leur « faciliter le passage de la frontière », comme l’indique le programme, n’est pas clair. Qu’est-ce qui leur permettra d’éviter les files de bouchon qui se constitueront inévitablement aux postes-frontières ? Le nouveau dispositif pour la circulation des marchandises n’est par ailleurs pas évoqué. Les transporteurs feront-ils l’objet de contrôles systématiques ?

Sur cette question des frontières, il y a par ailleurs chez les élus FN une incohérence entre le discours affiché et les pratiques. À la mi-décembre, le Parlement européen votait la mise en place d’un contrôle d’identité obligatoire de « toutes les personnes qui franchissent les frontières extérieures de l’UE grâce à des vérifications dans les bases de données sur des documents de voyage volés ou perdus ». Cette mesure, qui a pour ambition de répondre aux menaces terroristes en Europe et au phénomène de combattants partant sur des zones de conflit, aurait dû, en toute logique, être votée des deux mains par les eurodéputés FN. Or Marine Le Pen était absente de l’hémicycle ce jour-là. La résolution a été adopté par 469 voix pour et 120 contre… dont celle de l’élu frontiste Gilles Lebreton.

En fait, Marine Le Pen a dit une chose et son contraire au sujet des frontières ces deux dernières années. « Je n’ai jamais parlé de fermer les frontières, déclarait-elle après l’attentat de Nice, le 14 juillet dernier. Je dis simplement qu’elles doivent exister, comme dans tous les autres pays du monde, et permettre de filtrer les terroristes. » Un an plus tôt, en septembre 2015, alors qu’Angela Merkel ouvrait grand les bras pour accueillir les réfugiés syriens en Allemagne, Marine Le Pen demandait à l’inverse que le gouvernement « suspende en urgence les accords de Schengen et rétablisse ses frontières, notamment avec l’Allemagne ».

Comme pour la sortie de la France de l’UE (voir fiche no 6), cette proposition de sortie de Schengen suppose enfin que les pays partenaires soient d’accord. Or, Paris, en se retirant unilatéralement de l’espace de libre circulation, ne serait pas en position de force pour négocier. Surtout, la négociation promettrait d’être longue et complexe, car elle impliquerait d’élaborer des accords bilatéraux avec chacun des pays concernés par une frontière (aérienne, maritime, terrestre) avec la France. « La France se retrouverait à la merci des États concernés et les citoyens pourraient devenir l’objet d’éventuels conflits diplomatiques », décrypte Julien Jeandebosz. Cet élément du programme du FN est en définitive révélateur de l’illusion du FN. « Le parti croit que la souveraineté est un jeu à somme nulle. Or l’appartenance à Schengen ne consiste pas en une perte de souveraineté ; c’est une condition d’exercice de la souveraineté. Le FN est dans une position complètement idéaliste ; il n’a rien de pragmatique, comme il tend à le faire croire. Il confond exercice effectif de la souveraineté des États et idéalisation de la souveraineté nationale. » De fait, en cas de sortie de Schengen, la France ne pourrait plus prendre part à de nombreuses décisions prises à l’échelle européenne et perdrait de son influence sur le continent.

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Une obsession sécuritaire très mal renseignée

Appliquer la tolérance zéro et en finir avec le laxisme judiciaire.

Fantasme récurrent de l’extrême droite, le prétendu « laxisme judiciaire » est démenti par les faits : les tribunaux prononcent de plus en plus de condamnations et les peines sont de plus en plus lourdes, cela même après les lois Taubira honnies par le FN, qui prétend qu’elles ont vidé les prisons. Au 1er février, on comptait 69 077 personnes détenues dans les prisons françaises, contre 65 000 voici cinq ans. Sur la même période, le nombre de places disponibles, bien qu’insuffisant, a été porté de 56 000 à 58 672.

Le rétablissement des peines planchers et la suppression des remises de peine automatiques sont tout aussi irréalistes. Les peines planchers grossiraient mécaniquement le nombre de personnes détenues. Quant aux remises automatiques de peine, elles sont en quelque sorte la « carotte » qui incite les détenus à observer une bonne conduite afin d’avoir le droit d’en bénéficier. Les supprimer, vieille marotte de ceux qui prétendent revenir au « vrai sens de la peine », reviendrait à flatter les instincts les plus sécuritaires de l’électorat, mais risquerait surtout, et à coup sûr, d’augmenter le désespoir et les tensions qui règnent déjà au quotidien dans des prisons vétustes et surpeuplées. Même chose pour l’instauration d’une « perpétuité réelle incompressible » brandie par le FN. Mal soignés, de nombreux détenus âgés et malades meurent en prison, et d’autres se suicident, dans l’indifférence quasi générale.

La construction de 40 000 places de prison supplémentaires en cinq ans.

Cette mesure choc n’est pas chiffrée par le FN. La candidate Marine Le Pen a déclaré le 22 février 2017, lors de la visite d’un centre pénitentiaire près de Meaux, que son « plan prison » coûterait 2,3 milliards d’euros. Un chiffre sorti du chapeau et qui paraît très largement sous-évalué : lors de la campagne de 2012, les économistes du FN chiffraient cette même mesure à 5,7 milliards d’euros et le chiffre paraissait déjà sous-évalué. La surenchère sécuritaire du FN sur les prisons nécessiterait, en effet, d’importants moyens humains. Elle est destinée à frapper les imaginations, mais fait l’impasse sur la situation de délabrement des établissements existants et sur l’échec patent de la prison en termes de réinsertion.

Lutter contre la délinquance des mineurs en responsabilisant les parents.

La suppression des aides sociales aux parents de mineurs récidivistes en cas de carence éducative manifeste, proposée par le FN, ne ferait que stigmatiser et appauvrir ceux qui font déjà partie des populations les plus fragiles.

En dehors du fait qu’elle serait discriminatoire, voire non conforme aux textes existants, cette mesure n’aurait pas une efficacité avérée. Elle nie le fait que pour fonctionner et être crédible, la justice des mineurs ne peut reposer que sur un équilibre subtil entre mesures répressives et éducatives.

Rétablir l’expulsion automatique des criminels et des délinquants étrangers.

Encore une mesure incantatoire. La justice ne peut pas être automatique. Les procédures d’expulsion – et plus encore d’extradition – ne peuvent être arbitraires, mais doivent être examinées au cas par cas, et tenir compte à la fois des textes internationaux et des législations en vigueur dans les États concernés.

Rattacher l’administration pénitentiaire au ministère de l’intérieur et renforcer le renseignement pénitentiaire.

Outre le fait qu’on ne voit pas l’utilité de rattacher la pénitentiaire au ministère de l’intérieur, le symbole serait désastreux. En démocratie, la prison ne peut avoir de sens que si elle est reliée à une décision de justice, et non à une décision administrative. Les juges de l’application des peines et les conseillers d’insertion et de probation dépendent du ministère de la justice. Quant à l’expérience du renseignement pénitentiaire, qui a déjà été lancée, elle doit être menée avec finesse pour que gardiens et détenus puissent encore se parler et cohabiter au quotidien.

Augmenter le nombre de magistrats et supprimer l’École nationale de la magistrature (ENM).

Le nombre de magistrats, qui a été revu à la baisse sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, puis est reparti légèrement à la hausse sous celui de François Hollande, est encore insuffisant, notamment du fait des départs en retraite. La France est un des pays d’Europe qui consacre le moins d’argent par habitant à sa justice. Mais supprimer l’ENM, sans rien proposer de précis à la place, est pour le moins paradoxal. En outre, l’ENM ne prône pas « la culture du laxisme », comme l’assène le FN sans autre argument.

Réarmer massivement les forces de l’ordre : en personnels (plan de recrutement de 15 000 policiers et gendarmes), en matériels (modernisation des équipements, des commissariats et des casernes, adaptation des armements aux nouvelles menaces), mais aussi moralement et juridiquement (notamment par la présomption de légitime défense).

Contrairement à ce que la formule laisse entendre, il n’y a jamais eu de désarmement des forces de l’ordre, bien au contraire : les crédits d’investissement et de fonctionnement dédiés à la police et à la gendarmerie ont connu une hausse continue depuis 2013, passant de 936 millions à 1,1 milliard en 2017.

Il suffit de croiser une patrouille pour comprendre que la police française est déjà l’une des plus armées en Europe. Entre les armes en dotation individuelle – pistolet, tonfa, matraque télescopique – et celles en dotation collective – fusils d’assaut, lanceurs de balle de défense, Taser –, il ne reste plus beaucoup de place sur les agents, à moins de les transformer en porte-avions. Sans compter les outils spécifiques de maintien de l’ordre : grenades de désencerclement, grenades explosives type GLI, lanceur de grenades, etc.

En octobre 2015, les brigades anticriminalité (BAC) et leurs équivalents de la gendarmerie, les PSIG, ont même été dotés du fusil d’assaut HK G 36, une véritable arme de guerre, afin de répliquer aux tirs de kalachnikov. Depuis, les plans de livraison de gilet pare-balles, boucliers balistiques et autres se succèdent. Au point que les syndicalistes policiers ont obtenu de nouveaux véhicules plus puissants pour transporter cet arsenal. « Avec les armes et les gilets pare-balles, certains petits véhicules de patrouille se retrouvent en surcharge », nous expliquait en 2016 Jean-Marc Bailleul, secrétaire général du SCSI. On voit donc mal ce qu’il reste à « réarmer ».

Le FN ne chiffre pas le coût du recrutement de 15 000 policiers et gendarmes. Leurs effectifs sont en hausse constante depuis 2012, même si les recrutements effectués par le gouvernement socialiste n’ont pas encore permis à la police et gendarmerie de revenir au niveau de 2007, avant les 12 000 suppressions de poste opérées par Nicolas Sarkozy. Les écoles de police tournent déjà à plein régime. Entre 2012 et 2017, 6 176 emplois supplémentaires ont été créés dans la police et 3 289 dans la gendarmerie. Fin 2017, la France devrait compter 249 271 policiers et gendarmes (plafond d’emploi en équivalent temps plein).

Quant à la présomption de légitime défense pour les policiers, c’est une vieille antienne du Front national. En novembre 2011, Marine Le Pen assumait le « risque de bavures ». « Je préfère compter un mort chez les criminels qu’un mort chez les forces de l’ordre », lâchait-elle alors sur i-Télé. Depuis le 16 février 2017, le projet de loi sur la sécurité publique a déjà élargi les conditions de tir des policiers, en les alignant sur celles des gendarmes. Là, le FN réclame carrément un renversement de la charge de la preuve. Un policier qui tue en intervention n’aurait plus à prouver qu’il se trouvait en situation de légitime défense. Ce serait aux enquêteurs de démontrer l’inverse.

Plus aucun syndicat de police ne soutient aujourd’hui la présomption de légitime défense. Même Alliance police nationale a fait volte-face depuis 2012. Seul le Conseil de la fonction militaire gendarmerie (l’instance de concertation de la gendarmerie) y est favorable. Dans un rapport remis en novembre 2016 à l’ex-premier ministre Manuel Valls, l’Institut national des hautes études sur la sécurité et la justice (INHESJ) – pas franchement suspect de gauchisme – jugeait cette mesure « factice et dangereuse ». « Factice, parce que, s’agissant du droit pénal, il ne pourrait s’agir que d’une présomption simple, par nature réfragable, une présomption irréfragable constituant un véritable permis de tuer, unanimement exclu ; dangereuse, parce que cette évolution pourrait entretenir l’illusion d’un affranchissement des forces de sécurité aux principes jurisprudentiels enserrant l’usage des armes, susceptible de les exposer, de façon irresponsable, à un risque pénal majeur. »

Comme l’a argumenté l’avocat Me Eolas sur son blog, cette présomption serait en outre inutile, les policiers n’ayant en général aucun problème à prouver qu’ils agissaient bien en légitime défense. « Contrairement à un particulier surpris par une agression qu’il ne saurait avoir prévue, la police agit dans un cadre qui fait qu’on a toujours une abondance de preuves de ce qui s’est passé », écrit l’avocat. Les chiffres de la justice le prouvent. Sur 59 affaires judiciaires où des agents ont fait un usage mortel de leur arme en mission entre janvier 2012 et novembre 2016, deux policiers seulement ont fait l’objet d’un renvoi devant un tribunal. Certes, plusieurs affaires sont encore en cours d’investigation, mais le risque de condamnation pour les policiers est, on le voit, minime.

Recentrer la police et la gendarmerie sur leur mission de sécurité publique en les libérant des tâches indues et administratives.

Il s’agit là d’une proposition visant directement un électorat policier. Les policiers estiment souvent que ce n’est pas leur rôle d’assurer certaines tâches ingrates, comme les gardes statiques devant les bâtiments publics. Derrière une revendication corporatiste se cache un vrai choix de société : souhaitons-nous confier ces tâches – et donc une partie de notre sécurité – à des agents privés qui n’ont pas la même formation, ni les mêmes obligations déontologiques que des fonctionnaires ?

Mettre en place un plan de désarmement des banlieues concernées et de reprise en main par l’État des zones de non-droit. Cibler les 5 000 chefs des bandes délinquantes et criminelles identifiées par le ministère de l’intérieur. Afin d’empêcher leur reconstitution, instaurer en complément de la peine pénale l’injonction civile d’éloignement.

Le chiffre de 5 000 chefs de bande est fantaisiste. Un rapport des ex-RG sur le sujet, daté du 19 janvier 2012, dénombrait plutôt 313 bandes. De plus, le FN laisse entendre que ces bandes « identifiées » prospéreraient en toute impunité. Or, « identifier » des chefs de bande ne suffit pas ; encore faut-il que les enquêteurs recueillent suffisamment d’éléments à charge pour pouvoir les poursuivre pour des infractions précises devant des tribunaux. C’est la différence entre travail de renseignement et police judiciaire.

Depuis 2012, le gouvernement socialiste a mis en place 83 zones de sécurité prioritaires (ZSP) avec des moyens dédiés dans des quartiers souffrant « d’une insécurité quotidienne et d’une délinquance enracinée ». L’accent a également été mis sur la lutte contre le trafic d’armes, avec un plan permettant aux enquêteurs d’infiltrer les réseaux. Marine Le Pen n’explique pas comment elle compte s’y prendre pour faire un meilleur travail que les enquêteurs déjà à pied d’œuvre. La seule mesure concrète avancée, à savoir « l’injonction civile d’éloignement », ressemble comme deux gouttes d’eau à l’actuel contrôle judiciaire.

Rétablir des services de renseignement de terrain pour lutter contre les trafics criminels.

En créant en 2008 la Direction centrale de la sécurité intérieure (DCRI), son « FBI à la française », Nicolas Sarkozy avait affaibli les ex-RG. Malgré cette création, leurs successeurs, les agents du Renseignement territorial, chargés de détecter les « signaux faibles » de la menace terroriste, restent les parents pauvres du monde du renseignement. Ses agents ne représentaient fin 2014 que 60 % des effectifs des RG, alors même que le renseignement territorial a conservé 90 % des missions des RG.

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Une lutte contre le terrorisme complètement hors sol

Vendredi 3 février, dans les heures qui suivaient l’attentat déjoué au Louvre, Marine Le Pen se fendait d’un communiqué de presse où elle faisait le constat d’un « poison du terrorisme islamiste […] loin d’avoir été éradiqué » et dénonçait une « gravité du problème […] toujours pas prise en compte par les responsables publics ». La présidente du Front national concluait alors : « Il nous faudra prendre des mesures radicales contre ce fléau », comprendre : « Quand on sera au pouvoir au lendemain de l’élection présidentielle. »

Le problème, c’est que les cinq mesures prévues pour « éradiquer le terrorisme et briser les réseaux fondamentalistes islamistes » ressemblent à des rodomontades et ne s’attaquent pas aux problèmes de fond.

Première proposition : le Front national veut « interdire et dissoudre les organismes de toute nature liés aux fondamentalistes islamistes », « expulser tous les étrangers en lien avec le fondamentalisme islamiste (notamment les fichés S) ». Ce faisant, le parti d’extrême droite fait un amalgame entre le salafisme dit quiétiste, fondamentalisme autorisé dans l’Hexagone au même titre que les lectures rigoristes de n’importe quelle religion, et l’islam radical qui appelle au djihad. Certes, le salafisme rejette la modernité mais n’appelle pas à la violence. Un rapport d’enquête parlementaire consacré aux filières djihadistes paru en avril 2015 soulignait que « d’un point de vue sécuritaire, [...] l’adhésion à ce type de croyances fermées et intolérantes constituerait au contraire une barrière à la radicalisation ».

Enfin, concernant l’obsession des fichés S, cela traduit une méconnaissance de l’objectif de ces dites fiches. En septembre 2016, Mediapart avait révélé l’énervement des services de renseignement à propos de la volonté de Nicolas Sarkozy, encore candidat à la primaire de la droite et du centre, d’interner ces mêmes fichés S. « C’est méconnaître profondément la nature de ces fiches : un signal d’alerte qui nous permet d’obtenir des renseignements en amont », nous expliquait un gradé de la DGSI. Les services de renseignement sont unanimes : se débarrasser, d’une manière ou d’une autre, des hommes suspectés de sympathies avec l’idéologie djihadiste, outre que ce serait parfaitement illégal, leur compliquerait la tâche.

Deuxième proposition : la candidate frontiste envisage de « fermer toutes les mosquées extrémistes recensées par le ministère de l’intérieur » et d’interdire le financement étranger ou public des lieux de culte. En la matière, l’État n’est pas resté inactif. Depuis novembre 2015, selon le ministère de l’intérieur, 21 mosquées et lieux de culte musulmans ont été fermés. Mais tout cela doit être encadré. Même dans le cadre de l’état d’urgence, on ne peut pas fermer un lieu de culte parce qu’il est simplement jugé extrémiste. Ou alors les intégristes catholiques proches de l’extrême droite, qui occupent illégalement la paroisse de Saint-Nicolas-du Chardonnet depuis 1977, auraient du souci à se faire. La loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence prévoit que le ministre de l’intérieur et le préfet « peuvent ordonner la fermeture provisoire […] des lieux de culte au sein desquels sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence ou une provocation à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes ». Là encore, comme pour les fichés S, fermer tous les lieux de prêche radicaux serait non seulement illégal, mais contre-productif pour les services de renseignement qui ne pourraient plus y surveiller certains réseaux.

Quant à interdire le financement étranger des lieux de culte, le FN, notoirement prorusse, pourrait avoir des surprises. Le plus gros financement étranger actuellement engagé concerne non une mosquée, mais une cathédrale orthodoxe russe. La Fédération de Russie, propriétaire des lieux, a selon La Croix entièrement financé, à hauteur de 150 millions d’euros, ce bâtiment situé au pied du pont de l'Alma, non loin de la tour Eiffel.

En revanche, selon un rapport parlementaire de juillet 2016, les financements des lieux de culte musulmans par des États étrangers sont minoritaires. Contrairement à une idée reçue, l’essentiel du financement est assuré par les dons des fidèles. « Le financement du culte musulman se rapproche de celui des autres cultes, notamment du culte catholique, qui provient à 80 % des dons des fidèles », relèvent les parlementaires. Le financement par des États étrangers est, lui, « marginal » et concentré sur quelques mosquées. Les principaux contributeurs seraient le Maroc (6 millions en 2016, dont le salaire de ses imams), l’Algérie (2 millions d’euros) et l’Arabie saoudite (3,8 millions depuis 2011).

Troisième et quatrième propositions : pour lutter contre les filières djihadistes, Marine Le Pen reparle de la déchéance de nationalité, assortie de « l’expulsion et de l’interdiction du territoire pour tout binational lié à une filière djihadiste », et veut rétablir « l’indignité nationale pour les individus coupables de crimes et délits liés au terrorisme islamiste ». Concernant le lien que le FN fait entre attentats et personnes ayant la double nationalité, il convient de répéter cette statistique : sur la dizaine d’attentats commis entre 2012 et 2016, trois terroristes étaient des binationaux, cinq des étrangers et seize des Français… Et concernant l’indignité nationale que la candidate réserve aux Français auteurs d’attentats, rappelons simplement – comme lors du débat sur la question de déchéance de nationalité – que menacer de privation de droits des individus désirant mourir en martyr risque de se révéler inopérant.

Cinquième et dernière proposition : outre un renforcement des « moyens humains et techniques » des services de renseignement, toujours populaire mais, en l’espèce, très vague, la patronne du FN envisage de « créer une agence unique de lutte antiterroriste rattachée directement au premier ministre, chargée de l’analyse de la menace et de la coordination opérationnelle ». Une nouveauté qui n’est qu’un décalque de ce qu’avait déjà préconisé l’été dernier la commission d’enquête relative aux attentats, la création d’une agence nationale antiterroriste, sur le modèle du National Counterterrorism Center américain.

Si l’on résume, Marine Le Pen propose pour lutter contre le terrorisme des mesures illégales ou jugées contre-productives par ceux qui travaillent à éviter les prochains attentats. Des mesures que la candidate et ses proches ne reprennent pas dans les médias, se contentant de marteler toujours le même argument, la fermeture de nos frontières supposée ramener la sécurité, oubliant qu’en matière de terrorisme islamique, l’ennemi vient surtout de l’intérieur.

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Patriotisme économique, la version Donald Trump

« Réindustrialisation, accès prioritaires des entreprises françaises à la commande publique, soutien privilégié du “fabriqué en France” ». À première vue, les grands thèmes du Front national sur l’économie semblent avoir parfois une parenté avec ceux développés par la gauche, notamment par Arnaud Montebourg qui, depuis des années, s’est fait le chantre de la démondialisation. À première vue, seulement.

De nombreux économistes, à commencer par Frédéric Lordon, dénoncent depuis un moment la stratégie du caméléon adoptée par le Front national, qui consiste à emprunter les mots de la gauche pour aller chasser sur les terres ouvrières. Mais s’il faut rechercher une parenté de pensée, c’est plus vers Donald Trump qu’il convient de se tourner. Le Front national puise aux mêmes sources que le nouveau président des États-Unis. « La démondialisation chez Marine Le Pen s’appuie sur le libéralisme. Un libéralisme qui se développe à l’abri de barrières protectionnistes, qui repose sur la stigmatisation, la discrimination, des normes xénophobes », analyse l’économiste Benjamin Coriat.

Comme Donald Trump annonçant la remise en cause de tous les accords commerciaux et notamment l’accord Alena avec le Canada et le Mexique, la première série de mesures préconisées par Marine Le Pen est d’abord de défaire tout ce qui touche à l’Europe. La candidate du FN entend « instaurer un vrai patriotisme économique en se libérant des contraintes européennes ».

Ce retour « à la vraie France » passe par « la mise en place d’un protectionnisme intelligent et le rétablissement d’une monnaie nationale », le soutien « du fabriqué en France par un étiquetage obligatoire clair et loyal ». Cette protection se traduirait par l’instauration d’une taxe de 3 % sur toutes les importations – comme ce que prévoit Donald Trump. Le produit de cette taxe devrait servir à financer une « prime de pouvoir d’achat » pour tous les salariés touchant moins de 1 500 euros par mois.

Mais la mesure phare du FN est « la suppression de la directive sur les travailleurs détachés ». Dénonçant un « dumping social contre les travailleurs français », Marine Le Pen en a fait un cheval de bataille depuis des années. Cette directive ne peut, selon elle, ni être revue, ni amendée mais seulement annulée. Pour dissuader tout recours à une main-d’œuvre « non française », le programme du FN prévoit d’instituer une taxe additionnelle sur tous les nouveaux contrats de salariés étrangers « afin d’assurer la priorité nationale à l’emploi des Français ». « Elle serait de l’ordre de 10 % du salaire brut mensuel », selon Florian Philippot. Un montant qui se veut plus que dissuasif. D’autant que cette taxe concernerait tous les salariés étrangers y compris ceux venant de l’Union européenne.

Mais une fois que les frontières sont fermées, que ce « patriotisme économique » est restauré, le Front national au gouvernement n’a pas trop d’idées sur la suite. Certes, il propose d’instaurer un fonds souverain pour protéger les entreprises françaises contre les OPA hostiles et « assurer les secteurs stratégiques et porteurs ». Mais lesquels ? Le FN ne donne aucune indication sur les secteurs qu’il conviendrait, selon lui, de soutenir et de protéger, là où il importerait que l’économie du futur se développe.

La raison en est simple mais inavouée : pour le FN, c’est au marché, au privé de déterminer ce qui est bon ou pas, là où il convient d’aller. L’État est juste là comme distributeur de crédits et d’aides, surtout en veillant à ce que cela ne profite qu’aux intérêts français. « Fixer l’innovation en France en empêchant en cas de subvention publique que la société soit cédée à une société étrangère pendant dix ans », insiste le programme.

Dans ce programme FN de « reconquête nationale », une place particulière est accordée aux PME, aux artisans, aux commerçants. C’est à eux que Marine Le Pen s’adresse en particulier. Le programme FN insiste notamment sur la nécessité « d’alléger la complexité administrative », d’en « finir avec les seuils pour faciliter l’embauche », d’« instaurer un taux réduit de 15 % de l’impôt sur les sociétés pour les TPE », de « geler les autorisations accordées aux grandes surfaces et aux entrepôts de vente par correspondance dans l’attente d’un audit sur la grande distribution ». À plus de 60 ans de distance, le FN réimporte les mots d’ordre du poujadisme. Un retour aux sources familiales, en quelque sorte : Jean-Marie Le Pen commença sa carrière politique en 1956 comme député du mouvement de Pierre Poujade.

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L'illusion sociale, sans les syndicats et contre les salariés

« Le peuple ». Marine Le Pen l’invoque en permanence. Au point d’avoir réussi l’une des plus grandes impostures de ces dernières années : faire croire que son parti, le Front national, est le parti des classes populaires, des ouvriers, des salariés, de la France d’en bas acculée par la crise économique, le chômage, la pauvreté, « des invisibles », « des oubliés ». Un vocabulaire et des références qu’elle n’a pas craint d’emprunter à la gauche de l’échiquier politique…

Son père avait déjà usé des accents de gauche à l’aube des années 2000. Elle a fini de prendre ce virage social, alors que les discours et les propositions frontistes ne sont ni neuves, ni sociales. Et que les premières victimes de son programme économique et social seront ceux-là mêmes qui votent ou qui veulent voter pour elle.

Derrière les mots, sous le vernis d’un programme ni chiffré ni détaillé, qui compile des mesures de gauche « pour faire de gauche » (soutenir les services publics, les bas salaires, le retour de la retraite à 60 ans, dégeler le point d’indice des fonctionnaires, retirer la loi sur le travail…) et des rengaines poujadistes et néolibérales (la défense des petites entreprises et des artisans étranglés par les charges et les procédures administratives, l’apprentissage à 14 ans…), ce n’est pas « une France apaisée » qu’elle vise, comme le clame le nouveau slogan du parti, mais bien une France encore plus fracturée socialement, où les solidarités seront mises à mal.

L’a-t-on vue, elle ou les élus de son parti, descendre dans les rues soutenir les ouvriers, les employés luttant pour leur emploi, leur usine, à travers la France, les PSA, Goodyear, ArcelorMittal, Doux, Alstom, Air France, etc. ? Un exemple emblématique parmi d’autres : les 24 élus frontistes du conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur, dont Jean-Marie Le Pen, ont refusé de voter une motion de « solidarité » avec les 182 salariés de l’usine de thés Fralib, sacrifiés par le géant Unilever qui verse des milliards à ses actionnaires…

La finance. C’est pourtant l’ennemi, jure le Front national, pour mieux attirer les électeurs dans ses filets. En réalité, il s’oppose à la fixation d’un salaire maximum pour les grands patrons. Comme il s’oppose à l’augmentation du Smic, alors qu’il martèle qu’il est le parti du « redressement du pouvoir d’achat des Français ». « Cela entraîne une charge supplémentaire pour les entreprises, qui sont déjà dans une très grande fragilité dans notre pays », a décrété Marine Le Pen. Mais le Smic, régulièrement présenté comme « un problème » en France, rarement comme un instrument de justice sociale, c’est le salaire minimum d’environ 3,1 millions de salariés. Soit 13 % de l’ensemble des salariés en France, qui gagnent 1 150 euros net par mois.

Les mesures de Le Pen pour le pouvoir d’achat sont encore moins précises qu’en 2012, où elle assurait que tous les salaires jusqu’à 1 500 euros seraient revalorisés de 200 euros net par mois grâce à « l’instauration d’une contribution sociale aux importations de 3 % sur la valeur des biens importés ». Désormais, Le Pen ne parle plus que de « prime de pouvoir d’achat » pour « les bas revenus et les petites retraites ». « Elle représentera près de 80 euros par mois », annonce-t-elle au Monde. Et elle la financera avec toujours le même mécanisme de taxe sur l’importation, qui sera supporté en définitive… non pas par le grand capital, mais par les salariés et les retraités, et tous les autres consommateurs.

Sur le plan des mutations du travail, de sa raréfaction, rien. Marine Le Pen donne la priorité aux petits patrons. Elle promet d’« alléger la complexité administrative et fiscale » qui pèse sur les PME, de recentrer sur celles-ci et sur les start-up le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), et de refondre le RSI, le régime de sécurité sociale des indépendants, un des plus grands cauchemars administratifs de ces dernières années, qui cristallise la colère des entrepreneurs et est devenu un sujet de campagne (lire ici notre enquête).

Elle promet « une amnistie générale des arriérés des cotisations sociales de tous les indépendants » si elle est élue et de laisser le choix aux indépendants, soit de s’affilier au régime général, soit de conserver un système spécifique, mais sur la base de l’auto-déclaration, une souplesse qui ne va rien résoudre, surtout pas la question du niveau des cotisations à verser pour obtenir des prestations correctes.

La candidate du FN promet d’abroger la loi sur le travail tant décriée, qui a fini de flexibiliser le salariat et bouleversé des pans entiers du code du travail, notamment en matière de temps de travail. Elle assure ne pas vouloir toucher à la durée hebdomadaire légale du travail et aux 35 heures, mais elle cultive l’ambiguïté en ouvrant la porte aux dérogations « au niveau des branches professionnelles », tout en affirmant l’impossible, que ces renégociations ne peuvent se faire sans compensation salariale, et en rétablissant la défiscalisation des heures supplémentaires.

Cette défiscalisation était la mesure phare du « travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy en 2007, celle qui lui a permis de s’attaquer indirectement aux 35 heures et que Marine Le Pen critiquait alors vertement. Cette dernière veut aussi rétablir l’apprentissage à 14 ans, soit le retour du travail des enfants, une vieille antienne de la droite.

Autre proposition choc de Marine Le Pen : inscrire la « priorité nationale » dans la Constitution après référendum et en faire la pierre angulaire de sa politique, notamment en matière d'emploi. Le Pen veut imposer, après la sortie de l'euro, une taxe additionnelle sur toute nouvelle embauche d’employé étranger, y compris européen. Et le montant pourrait être de l’ordre de « 10 % du salaire brut mensuel du salarié étranger », selon Florian Philippot (au micro de RTL). Une telle taxe existe déjà aujourd’hui. Un employeur qui embauche un travailleur non européen pour 3 à 12 mois paye une taxe de 70 à 300 euros.

Le Pen veut privilégier les entreprises françaises dans l’attribution de marchés publics et lutter contre la directive sur les travailleurs détachés, en l’abrogeant pour mieux défendre le repli national, son obsession. Le Pen oublie, comme la droite qui marche dans ses pas avec ses clauses Molière nauséabondes, que la France, après la Pologne et l’Allemagne, est le pays qui détache le plus de travailleurs en Europe et qu’elle serait bien embêtée si l’on demandait à ces salariés de parler la langue du pays dans lequel ils échouent.

Le FN n'a jamais appelé à manifester aux côtés des Français contre les réformes libérales qui se succèdent depuis trente ans et malmènent notre système de retraites. À l’automne 2010 pourtant, le parti d’extrême droite ne cessait de dénoncer le caractère « injuste et inefficace » de la réforme Sarkozy. Sept ans plus tard, alors que l’âge légal de départ à la retraite a été maintenu par François Hollande à 62 ans, sauf pour les carrières pénibles – 60 ans –, le FN avance dans le flou et propose de fixer l’âge légal de la retraite à 60 ans, avec 40 annuités de cotisations pour percevoir une retraite à taux plein. Mais il se garde bien de dire si les salariés n’ayant pas leurs 40 ans de cotisation pourraient partir à cet âge-là. Ce qu’il promettait en 2012.

À l’époque, Marine Le Pen martelait « aux Français » : « Ne vous soumettez pas à l'escroquerie qui consiste à vous faire croire que nous n’en avons pas les moyens [du retour de l’âge légal à 60 ans – ndlr]. Nous en avons les moyens. » Si le parti joue les girouettes, c’est parce qu’il est très divisé en interne sur la question, comme le décrypte Libération, les uns, comme Le Pen père, prônant un départ à 65 ans, les autres, comme Le Pen fille, un départ à 60 ans. Concernant la pénibilité, Le Pen, qui veut supprimer le compte pénibilité instauré par Hollande pour « libérer les PME », avance qu’elle sera compensée par une majoration des annuités de retraite, sans plus de précision.

On n’a jamais vu le FN défiler aux côtés des salariés, des retraités, du public, du privé, car il a une aversion pour les syndicats. Marine Le Pen veut se la jouer « sociale », mais sans les syndicats de salariés. Elle les juge « complices » des gouvernements et « discrédités ». En 2014, elle menait la charge au micro d’Europe 1 : « Les syndicats ont refusé de s’opposer au libre-échange total. Ils défendent l’immigration qui pèse à la baisse sur les salaires ; ils défendent l’ouverture totale des frontières imposée par l’Union européenne ; ils s’opposent au protectionnisme qui est le seul moyen d’éviter la concurrence internationale déloyale ; ils s’opposent au patriotisme économique qui permet à l’État de donner un avantage dans les marchés publics aux entreprises françaises. Ils ont accepté ce modèle, ils sont discrédités. »

Le FN veut moraliser la vie syndicale par un contrôle public du financement des syndicats, ce qui reviendrait à mettre les syndicats sous la tutelle de l’État, et « instaurer une véritable liberté syndicale par la suppression du monopole de représentativité ». « Mais aujourd’hui, la liberté syndicale existe, même si elle demeure perfectible, et avec la loi de 2010, dite de modernisation du dialogue social, le monopole de représentativité issu de “l’attitude des syndicats pendant l’occupation nazie” a disparu, tenant compte de l’évolution du pluralisme syndical dans notre pays », rappelle VISA, collectif intersyndical contre le FN, avec notamment la CGT, la CFDT, Solidaires, la FSU.

Ce collectif intersyndical se demande si Le Pen « ne cherche pas plutôt à ouvrir la porte à des syndicats corporatistes (style charte du travail sous Pétain…) qui seraient “plus à même de rentrer dans des logiques de concertation constructive sans recourir au rapport de force (grève, manifestation)”, comme c’est écrit dans son programme de 2012, ou à des faux syndicats, appendices du FN, comme dans les années 1990 ».

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La fiscalité, angle mort du programme économique

S’il y a bien un domaine où le FN n’a quasiment rien à dire, c’est en matière de fiscalité. Alors que le FN de Jean-Marie Le Pen prônait une véritable révolution libérale, marquée par la suppression progressive de l’impôt sur le revenu, la suppression de l’ISF, la suppression de la CSG, la suppression de l’impôt sur les successions, dans son programme présidentiel, Marine Le Pen n’avance quasiment aucune proposition. Tout ou presque doit rester dans un cadre quasiment inchangé. Seuls « les impôts à faible rendement » seraient supprimés, est-il prévu dans son programme, sans plus d’explication. 

Marine Le Pen s’engage à « assurer une juste contribution fiscale, en refusant toute hausse de la TVA et de la CSG et en maintenant l’ISF ». Ce dernier impôt est-il appelé à rester avec la même assiette et le même périmètre ? Mystère. Interrogée sur l’ISF, Marine Le Pen avait en effet déclaré qu’elle souhaitait fusionner la taxe foncière « injuste » avec l’ISF pour instaurer « un impôt progressif » unique sur le patrimoine. Une idée qui se trouve aussi dans le programme d’Emmanuel Macron. Cette proposition ne figure plus dans le programme du FN. Peut-être parce qu’elle est difficile à mettre en œuvre : l’ISF est destiné au budget de l’État, tandis que la taxe foncière est réservée aux collectivités locales.

En matière de fiscalité sur le revenu, les modifications que le FN entend apporter sont à la marge. Il entend ainsi « baisser de 10 % l’impôt sur le revenu des trois premières tranches ». La première tranche passerait ainsi de 14 à 12,6 %, la deuxième de 30 à 27 %, la troisième de 41 % à 36,9 %, le taux supérieur étant, quant à lui, maintenu à 45 %.

Le FN ajoute dans son programme son intention de « rehausser progressivement le plafond du quotient familial, rétablir la demi-part des veuves et veufs ». La suppression de cette demi-part en 2008 – mesure qui avait pris son plein effet en 2013 – avait été vivement ressentie par les ménages les plus faibles. Depuis, le gouvernement a fait adopter un dispositif d’exonération permanent pour les revenus inférieurs à 13 553 euros. Le FN semble donc avoir la volonté de l’étendre à tous.

Car les plus hauts revenus ne sont pas complètement oubliés, en dépit des apparences. Une mesure leur est particulièrement destinée : les donations pour les successions. Si Marine Le Pen n’a pas repris l’idée de supprimer tout impôt sur les successions, elle propose cependant des dispositions permettant d’en adoucir les effets. Son programme propose de pouvoir transmettre à ses descendants en élevant le montant des donations libres de droit à 100 000 euros tous les cinq ans (au lieu de quinze ans actuellement), au nom de la « solidarité intergénérationnelle ».  

Sur la fiscalité des entreprises, Marine Le Pen entend, comme dans le cadre du patriotisme économique, réserver tous les efforts pour les petites et moyennes entreprises. Le FN veut cibler sur elles les allégements de cotisations sociales, de l’impôt sur les bénéfices, ramenant le taux de l’IS à 15 % pour les plus petites tandis que les plus grandes seraient toujours imposées au taux de 33 %.

Comme les autres, le FN promet de lutter contre l’évasion fiscale. Curieusement, la proposition ne semble concerner que les grands groupes, pas les particuliers – il est vrai que plusieurs noms de responsables du FN se sont retrouvés dans les Panama Papers. Pour ces multinationales, le FN entend instaurer « une taxe sur l’activité réalisée en France par les grands groupes et les profits qui auraient été détournés ». Ceux-ci se verraient aussi privés d’accès aux marchés publics.

Ce programme paraît particulièrement faible au regard des dépenses publiques que le FN veut engager par ailleurs. Revalorisation des salaires des fonctionnaires, retraite à 60 ans, augmentation des dépenses de santé, amélioration du revenu des agriculteurs, personne n'a été oublié. Dès lors, il est difficile de voir où se trouve le point d’équilibre financier pour le FN.

Une dernière mention un peu particulière est faite dans ce très court programme sur la fiscalité. Le FN a tenu à spécifier que son intention était de « dénoncer les conventions fiscales avec les pays du Golfe qui accordent des privilèges indus, qui facilitent la prise de contrôle de l’économie française par les pétrodollars et qui sont contraires à l’intérêt national ». Les conventions fiscales accordées au Qatar notamment constituent en effet des passe-droits incompréhensibles. Mais est-ce vraiment une telle priorité qu’il faille inscrire leur révocation dans un programme présidentiel ? Difficile de ne pas y lire un sous-texte nauséabond.

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La réforme de l'éducation, une ode à un passé fantasmé

Le Front national n’a jamais fait montre d’un intérêt démesuré pour les professeurs, un électorat jugé acquis à la gauche. Cela a tendance à changer, puisqu’en 2013, le parti de Marine Le Pen a mis en orbite le collectif Racine, qui agrège des « enseignants patriotes ». Son pendant étudiant, le collectif Marianne, entend de son côté faire pénétrer les idées frontistes à l’université.

C’est d’ailleurs cette émanation du Rassemblement bleu marine qui a planché sur cent propositions détaillées concernant l’éducation. Dans son programme présidentiel en 144 points, présenté mi-février, les propositions éducatives sont peu nombreuses et lapidaires.

Sans surprise, la tonalité globale de ce projet se révèle passéiste et élitiste. La petite musique du « c’était mieux avant » résonne fort. À cet effet, le parti remettrait des uniformes aux élèves s’il accédait au pouvoir et il promet de réinstaurer le respect et l’autorité du maître, façon IIIe République dans ce qu’elle a de plus caricatural.

Le parti d’extrême droite ressuscite la vieille idée de « roman national » créée à la fin du XIXe siècle pour susciter chez les écoliers un sentiment très fort d’adhésion à la nation (voir la fiche « L’identité nationale contre l’islam »). Il n’hésite pas à récupérer Jean Zay, ministre de l’éducation du Front populaire, qui voulait faire de l’école « un asile inviolable où les querelles des hommes n’entrent pas », pour réaffirmer son triptyque laïcité-neutralité-sécurité. Sans plus de précisions que cette affirmation incantatoire.

Dans son livre L’École des réac-publicains (éditions Libertalia), consacré à l’offensive réactionnaire à l’assaut de l'école, Grégory Chambat explique cette focalisation sur le passé de la manière suivante : « C’est moins le “déclin” des capacités à écrire, calculer ou compter qui inquiète que la perte de ces “saines” valeurs – “la discipline” et “l’effort” – que le système était parvenu à ériger en rempart des privilèges, puisqu’elles avaient l’inestimable mérite de garantir la perpétuation et la légitimation des hiérarchies sociales. La nostalgie pour l’école d’antan va toujours de pair avec une étrange “amnésie” quant au modèle de ségrégation sociale de l’école de Jules Ferry. » 

Pour le FN, il faut centrer l’enseignement à l’école primaire sur les fondamentaux, à savoir « français, histoire, calcul », et « réserver la moitié du temps d’enseignement au français »Aujourd’hui déjà, les écoliers du cycle CP-CE1-CE2 consacrent 10 heures de leur emploi du temps hebdomadaire (24 heures) à son apprentissage, d’après le ministère de l’éducation nationale. Cela descend à huit heures pour les CM1-CM2. Loin donc de l’idée selon laquelle les fondamentaux seraient délaissés au profit d’activités ludiques. Par ailleurs, le collectif Racine, toujours dans cette idée de ne pas détourner les jeunes de leur travail, préconise de supprimer les sorties scolaires lors des années charnières que sont la 3e et la Terminale. 

Les deux réformes décriées du quinquennat Hollande, celle des rythmes scolaires avec ses temps d’activités périscolaires et celle du collège, seront abrogées.

Autre idée mise en avant par le collectif Racine : l’enseignement obligatoire du latin dès la 4eGrégory Chambat analyse la promotion de cette langue « morte » comme le signe d’une énième instrumentalisation de la pédagogie au service du séparatisme social : « C’est davantage l’attachement à un système ségrégatif que la défense du latin et du grec qui anime les gardiens du temple. »

La présidente du Front national entend imposer la méthode syllabique au lieu de la globale, qui consiste à apprendre à lire en reconnaissant les mots dans leur ensemble. Cette dernière est décriée car elle serait le fruit des délires des « pédagos » honnis par le FN. En réalité, comme l’explique cet article de L’Express, cette méthode n’est pas utilisée massivement. En 2015, Roland Goigoux, chercheur en sciences de l’éducation, a piloté une vaste étude, réalisée par l’Institut français de l’éducation-ENS Lyon, sur les méthodes d’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Le chercheur relève qu’il existe une variété de pratiques éducatives dans les classes. Il explique par exemple que les « choix techniques [des enseignants] pèsent peu dès lors que [ces] enseignants sont expérimentés et qu’ils savent rester maîtres de leur classe ». Il invite donc les parents à relativiser ces débats récurrents sur le bien-fondé de telle ou telle méthode de lecture.

L’obsession du FN envers tout ce qui vient de l’étranger se cristallise sur l’apprentissage des langues. Exeunt donc les ELCO, ces Enseignements de langue et de culture d’origine assurés par des professeurs étrangers. Ils ont été créés sur la base d’accords signés à partir de 1973 avec les pays d’origine des immigrés, comme par exemple le Maroc, l’Algérie ou le Portugal. Najat Vallaud-Belkacem a entrepris de réformer ce dispositif décrié en contrôlant mieux les enseignants qui dispensent ces cours. Par ailleurs, depuis la rentrée 2016, ces ELCO ne ressemblent plus à ce qu’ils étaient et se sont transformés en « sections internationales » ouvertes à tous les élèves, quelles que soient leurs origines.

Le FN enfin renoue avec sa promesse phare de la « préférence nationale » et souhaite mettre fin à la gratuité de la scolarité des enfants d’étrangers en situation régulière, avec la mise en place d’un délai de carence de deux ans avant de ne plus devoir s’acquitter d’une « contribution » pour bénéficier d’un enseignement (lire notre article). En revanche, le FN est moins réticent à l’idée de « renforcer le réseau des écoles et des lycées français dans le monde ».

Le FN promet de « rétablir une véritable égalité des chances en retrouvant la voie de la méritocratie républicaine ». En réalité, le parti d’extrême droite va simplement creuser les inégalités qui rongent déjà l’école. Marine Le Pen plaide pour la fin « progressive » du collège unique, institué à partir de 1975 pour permettre la démocratisation scolaire. Le FN se cramponne à sa vieille antienne de la baisse du niveau global et celle du « triomphe de la médiocrité ». L’égalité pour tous est jugée néfaste. En septembre 2016, à l’occasion d’une convention dédiée à l’éducation, Marine Le Pen expliquait : « Le collège unique est une machine à frustration qui favorise les inégalités […]. À trop vouloir que les élèves soient tous les mêmes, on efface leurs différences et on condamne alors des milliers d’élèves à se sentir écrasés par le collège. »

Dans les faits, cela signifierait qu’à compter de la 5e, les élèves pourraient être orientés vers la voie professionnelle. Un tri assumé avec cette orientation précoce. Le FN veut « revaloriser le travail manuel par l’établissement de filières professionnelles d’excellence » et autoriser l’apprentissage dès 14 ans – peu importe si, à cet âge-là, les jeunes sont rarement sûrs de leur orientation professionnelle. Le Front national aimerait aussi « développer massivement l’alternance (contrat d’apprentissage, contrat de professionnalisation) dans l’artisanat, le secteur public et privé, et rendre la formation professionnelle plus efficace, moins opaque et moins coûteuse ».

Dans la même lignée, Marine Le Pen entend mettre fin à la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans. Toutes ces dispositions mettraient un sérieux coup d’arrêt à la massification scolaire engagée ces 50 dernières années. 

Au niveau du supérieur, le FN continue de vouloir créer un système à double vitesse. Le parti compte détruire un symbole fort. Il souhaite introduire la sélection pure et simple à l’entrée de l’université en licence et bannir tout tirage au sort. Les bourses attribuées « au mérite » seront favorisées, sans qu’un quelconque chiffrage ne soit avancé. Elles avaient été supprimées en 2014, puis rétablies, mais avec un montant réduit, comme le raconte Libération. Les rapprochements avec le monde du travail se feront aussi dans l’enseignement supérieur puisque les universités, où la langue française sera encore et toujours prioritaire, seront tenues de trouver un stage à tous les étudiants. 

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Écologie et agriculture : l’approche nationaliste

Étendre un cordon sanitaire autour de la France pour la protéger de la pollution venue d’ailleurs… Le programme du Front national pour « une France durable » est hanté par l’idée de construire des murs étanches entre le territoire national et l’extérieur, forcément toxique, menaçant et vorace. Interdire l’importation et la vente de produits « provenant de l’étranger » qui ne respectent pas les normes « imposées » aux producteurs français ; obliger à un étiquetage « clair et loyal » sur l’origine des produits et denrées commercialisés en France ; imposer la traçabilité « totale » de l’origine géographique et du lieu de transformation des produits alimentaires sur leur étiquette et garantir la transparence de l’information des consommateurs ; refuser les traités de libre-échange (notamment Tafta et Ceta) ; se libérer des « contraintes européennes ».

Alors que l’Union européenne est l’une des principales sources de progression du droit de l’environnement en France (espèces protégées, préservation de l’eau et de l’air, directive sur les substances toxiques) et des fondamentaux de la transition énergétique (soutien aux énergies renouvelables, réduction de la consommation énergétique des bâtiments), le Front national défend une approche nationaliste du souci environnemental.

Cette approche est doublement problématique : à la fois mensongère, puisque les grands semenciers et éleveurs porcins français n’ont attendu aucune puissance étrangère pour abuser des engrais et polluer la nappe phréatique, et déresponsabilisante pour les acteurs nationaux. Réduire la préoccupation environnementale à « défendre la France contre sa colonisation par l’agrochimie et les capitaux nomades » (discours de Marine Le Pen du 26 janvier), c’est bien sûr jeter un voile sur les forages pétroliers de Total en mer du Nord, les centrales à charbon d’EDF en Chine, le financement de projets climaticides par des banques françaises. Cela revient aussi à absoudre nos centrales nucléaires de tout risque de contamination radioactive vers nos voisins européens, alors qu’une partie de notre parc est construit aux frontières de la Belgique, de l’Allemagne, du Luxembourg et de la Suisse.

Cette déclinaison environnementale de la préférence nationale passe par la reprise de demandes historiquement portées par les mouvements écologistes : soutenir les associations « qui animent la vie de nos territoires », geler les autorisations accordées aux grandes surfaces et aux entrepôts de vente par correspondance (les plates-formes d’Amazon par exemple), interdire l’exploitation des gaz de schiste (déjà en place), exercer le principe de précaution contre les OGM (déjà en place également), refuser les fermes-usines de type « Mille vaches », développer « le plus possible » le bio dans les cantines, développer « massivement » les filières françaises d’énergies renouvelables. Mais les éoliennes sont, elles, fustigées (le FN demande un moratoire), sans doute parce qu’elles sont combattues par de nombreux collectifs à l’idéologie conservatrice.

Dans l’ensemble, ce programme est très flou. Aucune mesure précise, directement applicable, n’est proposée dans le programme officiel du FN pour la présidentielle. Rien n’y est dit sur le climat, le diesel, les énergies fossiles, les pesticides, la pollution, l’EPR. Il procède donc surtout de l’affichage. Mais une fois cela dit, l’image ainsi construite reflète un souci de la protection de l’air, des eaux et de la terre contre les pollutions industrielles et la logique financière du capitalisme. Elle aspire une partie de la critique écologiste de la modernité.

Le programme du Front national est parcellaire sur l’agriculture et la défense de l’environnement. Mais Marine Le Pen porte par ailleurs un discours sur l’écologie, qu’elle rêve « patriote ». Dans sa conférence du 26 janvier sur « la France durable », elle déclare : « Jamais notre pouvoir de destruction n'a été aussi grand. Ce nouvel âge redéfinit la mission du gouvernement et de l'État. Une économie qui ne connaît pas les chiffres, qui accorde une préférence absolue au présent et compte pour rien le long terme. Une croissance dont la mesure ignore la destruction des ressources et survalorise les flux de biens, de services et d'argent ne peut être juge d'une action politique qui doit d'abord garantir aux Français l'essentiel : c'est-à-dire la santé et la sécurité. »

Bien des militants écologistes pourraient prononcer ces phrases. Dans le même discours, elle parle de l’anthropocène, affirme que « oui, tout peut s’effondrer », reprenant le titre d’un livre qui a eu beaucoup d’écho dans les milieux décroissants (Comment tout peut s’effondrer, de Pablo Servigne et Raphaël Stevens).

Marine Le Pen fait aussi l’éloge des biens communs, « ces biens qui ne s’achètent pas et qui sont les seuls qui comptent vraiment ». Elle appelle de ses vœux une fiscalité écologique et sociale. Elle fustige « la tentation du béton, de l’aménagement immobilier ou industriel extensif ». Elle dit vouloir renforcer le régime des installations classées et les missions du Conservatoire du littoral. « De Sivens à Roybon ou Notre-Dame-des-Landes, combien de projets ont été conduits de manière arbitraire, en contournant les rapports d’enquête d’utilité publique ? », s'interroge-t-elle, au terme d'un exercice de triangulation qui emprunte les mots de l'écologie pour les mettre au service de la France patriote.

Le Front national se dit également opposé au projet de centre commercial EuropaCity, dans le triangle de Gonesse, en région parisienne. Il a aussi pris position contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, mais Marine Le Pen a depuis déclaré à France Bleu Loire Océan : « Je suis contre cet aéroport depuis le départ, sauf qu'il y a eu une consultation populaire et par conséquent rien ne peut aller contre une consultation populaire. Le peuple a toujours raison (...) même si moi je suis opposée à cet aéroport. Maintenant la décision a été prise et la fermeté doit être de mise, car il n'est pas question qu'un petit groupuscule d'anarchistes fasse céder indéfiniment l'État français, l'État qui est le représentant de l'ensemble du peuple et il doit faire appliquer la loi. »

Cette inclinaison du Front national vers la défense d’un « milieu de vie bienveillant, divers et proche », selon les mots de Marine Le Pen, doit être entendue en lien avec son rejet brutal des réfugiés et des sans-papiers. La sensibilité du parti d’extrême droite au sort des animaux dans les abattoirs et des espèces végétales protégées ne fait qu’accroître la violence et la cruauté de son refus des migrants.

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Culture et patrimoine : chasser les pensées dissidentes

Identité, patrimoine, francophonie : ainsi se résume, dans le domaine de la direction de l’esprit, le « choix de civilisation » excipé par Marine Le Pen dans ses « 144 engagements présidentiels ». Le FN a su tirer profit de la notion marxiste d’« hégémonie culturelle » développée par Antonio Gramsci et entend la retourner, au profit de la diffusion d’une idéologie d’extrême droite. Les universités, les médias, les intellectuels et les artistes devront se soumettre ou se démettre, dans ce qui est vécu telle la dernière manche d’un long combat culturel – dont les premières victoires furent accueillies comme annonciatrices de triomphes électoraux qui viendraient à leur heure…

Le domptage de la pensée dissidente apparaît dès le 7e engagement, avec une formulation ouverte en apparence à toutes les contradictions, mais qui laisse poindre une coercition de fer derrière le mot « liberté » brandi tel un leurre : « Garantir la liberté d’expression et les libertés numériques par leur inscription dans les libertés fondamentales protégées par la Constitution, tout en renforçant la lutte contre le cyber-djihadisme et la pédo-criminalité. En parallèle, simplifier pour ceux qui en sont victimes les procédures visant à faire reconnaître la diffamation ou l’injure. »

La mission civilisatrice est fixée sans fard au 91e point : « Défendre l’identité nationale, les valeurs et les traditions de la civilisation française. Inscrire dans la Constitution la défense et la promotion de notre patrimoine historique et culturel. » Cette défense implique donc une menace, graduée : l’islam(isme) arrive en tête, puis vient l’Europe, marchepied du mondialisme. Certaines mesures prônées relèvent d’une sémiotique archaïque, compatible avec bien des régimes autoritaires ou dictatoriaux, tout en fleurant son retour à la IIIe République : « Pavoiser en permanence tous les bâtiments publics du drapeau français et en retirer le drapeau européen. » (proposition n° 93)

Se dessine le portrait d’une France méfiante et figée, recroquevillée sur les bijoux de famille : « Mettre un coup d’arrêt à la politique de vente à l’étranger et au privé de palais et bâtiments nationaux. » (111) Le salut repose dans les vieilles pierres, qu’une nation digne de ce nom doit honorer jusqu’à les patiner : « Bâtir une loi de programmation du patrimoine pour permettre un meilleur soutien à l’entretien et à la préservation du patrimoine. Augmenter le budget alloué de 25 %. » (110).

Le cher et vieux pays, ainsi rendu à lui-même et à ses servants, pourrait retrouver sa fierté donc sa grandeur. Tout cela apparaît furieusement performatif : « Renforcer l’unité de la nation par la promotion du roman national et le refus des repentances d’État qui divisent. » (97) L’école ne serait rien sans la télévision : « Réformer le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel avec la création de trois collèges : l’un composé des représentants de l’État, le deuxième de professionnels, le troisième de représentants de la société civile (associations de consommateurs, de téléspectateurs, etc.). » (113) Ainsi les citoyens s’enfonceront-ils bien dans le crâne l’amour exclusif de la patrie…

Le FN, s’estimant ostracisé depuis des lustres, devrait prendre à cœur de faire surgir des catacombes françaises un état d’esprit, dont la revanche serait enfin sans limite. On peut imaginer sans peine des téléfilms adaptés des romans de Jean Raspail à des heures de grande écoute sur les chaînes de service public de la télévision, une série d’été de France Culture au sujet de nos grands coloniaux, des jeux interactifs sur la guerre de Sécession avec un puissant parti pris sudiste sous l’égide d’Alain Sanders…

Ceux qui refuseront les carottes de la loyauté auront droit au bâton du châtiment frontiste : « Remettre en ordre le statut d’intermittent du spectacle par la création d’une carte professionnelle afin de préserver ce régime tout en opérant un meilleur contrôle des structures qui en abusent. » (114) Les cartes seront redistribuées : « Supprimer Hadopi et ouvrir le chantier de la licence globale. » (115)

La fermeture à l’étranger prend des allures trompeuses d’intérêt pour autrui, à condition que la relation soit hiérarchisée ; en faveur d’une France orpheline des rapports de domination coloniaux. C’est ainsi qu’il faut comprendre une mesure anodine en apparence : « Défendre la langue française. Abroger notamment les dispositions de la loi Fioraso qui permettent de restreindre l’enseignement en français dans les universités. » (96) Avec son corollaire : « Renforcer les liens entre les peuples qui ont le français en partage. » (123)

La langue, ce qui reste quand on a tout perdu, pierre angulaire d’une Reconquista fantasmagorique, se transforme en ultime incarnation des confettis de l’Empire aux yeux des idéologues du FN. La francophonie devient alors une notion à retourner comme peau de lapin – c’est la spécialité d’un parti d’extrême droite ayant adopté la nomination d’un mouvement de résistance d’obédience communiste : le Front national. Ainsi tordue et instrumentalisée, la francophonie, inventée par Senghor et consort, perdrait de son énergie créatrice ouverte au grand large pour sentir le renfermé, à l’instar d’une émission de Radio Courtoisie crachouillant au microphone sa haine de la différence et son repli sur soi, sur le nécrosé, sur le révolu. À bas l’intelligence et vive la mort !

Ainsi pèserait sur la culture, devenue roide comme un garde-à-vous, ce grand froid qui balaie un poème de Jean Richepin mis en musique par Gabriel Fauré : Au cimetière

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Défense, politique étrangère : des moulinets et un tropisme russe

Les militaires votent. Et Marine Le Pen prend donc grand soin d’accéder à la plupart de leurs revendications. Traditionnellement, le parti d’extrême droite a toujours soutenu l’armée, en toutes circonstances – même les pires, le légionnaire Le Pen s’étant adonné à la torture en Algérie –, tant la défense est au cœur du projet nationaliste qu’il porte. Aussi, en matière de défense, Marine Le Pen fait-elle exploser tous les budgets pour « assurer une France puissante et une capacité de défense dans tous les domaines ».

En ce sens, elle apparaît comme la Madame Plus de la présidentielle française. Benoît Hamon s’est-il prononcé pour une deuxième porte-avions et un budget de la défense porté à 2 % du PIB à la fin du prochain quiquennat ? Marine Le Pen veut elle aussi un deuxième porte-avions et promet un budget pesant 3 % du PIB. Emmanuel Macron annonce-t-il un service militaire obligatoire d’un mois ? Mme Le Pen promet pour sa part un service « d’un minimum obligatoire de trois mois »… Jean-Luc Mélenchon demande-t-il que la France quitte l’Otan ? La présidente du FN se prononce pour « quitter le commandement militaire intégré de l’Otan », passant par-dessus bord les engagements ultra-atlantistes de son père durant des décennies.

Plus d’effectifs, « davantage d’avions, de navires, de blindés et des équipements modernisés », « une offre industrielle française » : c’est la grande distribution sans que soit expliqué comment seront financés de tels choix. L’indépendance nationale n’a pas de prix, surtout quand il s’agit de lutter contre le totalitarisme islamiste.

Ce surmoi militaire est au service d’un projet de politique étrangère quasi inexistant dans les 144 propositions de Marine Le Pen : trois propositions seulement (122, 123 et 124) tant les politiques de rupture avec l’Union européenne occupent l’essentiel (lire nos autres fiches sur ces sujets). Mais il reste que le FN a une vision du rôle de la France dans le monde. « Le FN pense que ce siècle sera celui du retour de l’affirmation des nationalismes et de la volonté de puissance, régionale ou mondiale, de nouveaux acteurs majeurs d’un monde multipolaire, États ou blocs se réclamant d’une identité commune », note le chercheur Jean-Yves Camus, spécialiste des extrêmes droites européennes.

D’où les deux axes stratégiques de l’extrême droite française. Le premier est l’affirmation d’un « monde multipolaire fondé sur l’égalité en droit des nations ». C’est un autre moyen de combattre le « mondialisme libéral » imposé par les États-Unis et de revendiquer l’identité des nations. Le second axe est alliance revendiquée avec les nombreux mouvements d’extrême droite et populistes européens comme avec un certain nombre de régimes autoritaires, la Russie de Vladimir Poutine en tête. Depuis novembre, l’élection de Donald Trump est vécue comme une confirmation des thèses du Front national. Marine Le Pen a d’ailleurs aussitôt fait le voyage à la Trump Tower… sans parvenir à être reçue par le président élu.

Être reçue à l’étranger : c’est bien le problème de Marine Le Pen, tant son parti politique continue à sentir le soufre. Le récent déplacement de son secrétaire général Nicolas Bay en Israël en est une démonstration (notre article est à lire ici) : la plupart de ses interlocuteurs ont ensuite publiquement expliqué qu’ils ignoraient que ce responsable politique français était du Front national. Marine Le Pen a pourtant réussi à être reçue par quelques personnalités : le président libanais chrétien Michel Aoun (trente minutes) ; le premier ministre égyptien (le régime égyptien est l’une des pires dictatures de la région) ; le président du Tchad Idriss Déby, autre régime dictatorial. En revanche, son déplacement au Canada a tourné au naufrage : impossible de rencontrer des responsables politiques qui ont dénoncé publiquement le FN et humiliation lors d’un entretien télévisé…

Cette non-reconnaissance internationale n’a pas empêché Marine Le Pen d’améliorer ses nombreux réseaux en Europe. Son mandat d’eurodéputée l’y a aidée, tout comme ses alliances avec les mouvements les plus extrêmes, par exemple celui de Geert Wilders aux Pays-Bas. Mais l’appui principal dont a bénéficié le FN est venu de la Russie. Pas seulement par le biais de la guerre en Syrie et des nombreux liens tissés avec le régime al-Assad par l’extrême droite (par l’intermédiaire de l’ancien responsable du GUD Frédéric Chatillon, entre autres). Pas seulement pour obtenir des financements d’entités russes liées au Kremlin.

Il y a de fait une vraie convergence politique et programmatique entre le Front national et Russie unie, le parti de Vladimir Poutine. Car l’axe central du programme du FN consiste à rompre avec l’Europe et à remplacer un partenariat stratégique avec les États-Unis par une nouvelle alliance avec la Russie. C’est « l’offre faite à la Russie d’une alliance stratégique poussée, fondée sur un partenariat militaire et énergétique approfondi, le refus de la guerre d’ingérence et le soutien au droit international », dit le programme du FN.

« Ces deux derniers termes font implicitement référence, de manière d’ailleurs contradictoire, à la situation en Crimée et en Ukraine, ainsi qu’à toutes les opérations militaires auxquelles la France participe, en Syrie et en Irak par exemple », note le chercheur Jean-Yves Camus. Le FN a ainsi soutenu l’annexion de la Crimée par la Russie, tout comme il dénonce l’alignement de la France sur les États-Unis dans le conflit syrien. C’est très exactement ce que souhaitait le Kremlin.

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